« Alors que la Turquie occupe une bande de territoire dans le nord-est syrien depuis octobre 2019, Ankara aurait déclenché une guerre de l’eau contre les populations kurdes, selon l’écrivain Patrice Franceschi, qui revient de cette région aux confins de l’Irak et de la Syrie » dit Christian Chesnot dans France Culture.
Un statu quo militaire précaire règne dans le nord-est syrien où la Turquie contrôle depuis octobre 2019, une bande de territoire frontalière. Le front est quasiment gelé, mais l’armée turque continue régulièrement de frapper les peshemergas kurdes du PYD, la branche syrienne du PPK, qu’elle considère comme un mouvement terroriste.
Cette semaine, les combattants kurdes ont accusé la Turquie d’avoir menée une attaque au drone contre une voiture dans la ville de Qamichli sous leur contrôle. Elle aurait tué trois personnes d’une même famille, dont un homme de 82 ans, affirme l’administration kurde.
Ce raid aurait en fait visé un responsable des Forces démocratiques syrienne (FDS), qui ne se trouvait pas dans le véhicule ciblé. Les FDS regroupent majoritairement des Kurdes du PYD, des membres de tribus arabes et des chrétiens assyriens. Elles ont participé aux batailles de Kobané et à Raqqa, qui ont permis la défaite de Daech.
Une guerre silencieuse mais dévastatrice
Aujourd’hui, une « guerre à bas bruit, silencieuse et dévastatrice », selon les mots de l’écrivain Patric Franceschi, est en cours dans les régions sous contrôle des Kurdes enclavés entre la Turquie et l’Irak. Et dans ce cas, ce n’est pas le changement climatique qui est en cause.
La Turquie est le château d’eau de la région avec les sources du Tigre et de l’Euphrate, qui prennent leurs sources sur son territoire.
« Depuis de nombreuses années, les Turcs ont construit des barrages qui leur permettent de contrôler le débit qui s’écoule en aval. Depuis quelques mois, ils ont diminué d’environ 80 % le volume d’eau qui parvient normalement à la Syrie et de 50 % des stations de pompage d’eau douce à la population. »
Ces derniers mois, le débit des eaux fluviales a été fortement réduit, selon des chiffres cités par l’ONU : 200 m3 par seconde, au lieu des 500 m3 habituels. Le niveau de l’Euphrate se trouve désormais si bas que les équipements de pompage et les canalisations ne sont plus opérationnels.
Tensions dans la population locale
L’ONG, Human Rights Watch, rappelait déjà l’année dernière que la Turquie et les forces locales qui la soutiennent avaient pris le contrôle de la station d’eau d’Allouk lors de leur offensive dans le nord-est de la Syrie, en octobre 2019. Cette station d’eau, située près de la ville de Ras al-Aïn (aussi connue sous le nom de Serekaniye en kurde), subvient normalement aux besoins de 460 000 personnes dans le gouvernorat d’al-Hasakeh, y compris les habitants la ville d’al-Hasakeh.
Cette réduction des volumes d’eau pour les usages domestiques et l’agriculture crée des tensions au sein de la population locale. Le prix du pain a déjà augmenté et les prochaines récoltes de blé sont d’ores et déjà menacées. Sur place, le spectre d’une famine est dans tous les esprits. Les agriculteurs sont aux abois pour trouver de l’eau d’irrigation.
« Les gens sont obligés de rationner l’eau, poursuit Patrice Franceschi. Ils creusent des puits partout en espérant trouver une nappe phréatique. Les ONG internationales encore sur place organisent des distributions d’eau potable avec des camions citernes. »
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Une dimension politique
Au-delà de l’urgence humanitaire, le problème est aussi politique, estime l’écrivain : « Tant qu’il n’y aura pas de pressions exercées par la communauté internationale sur Ankara pour empêcher cette guerre innommable contre les populations, les Turcs continueront à faire ce qu’ils veulent. »
Cette région du nord-est syrien, que les Kurdes ont baptisé la « Rojava », souffre de son enclavement et du blocus imposé par la Turquie, ce qui pose des problèmes de ravitaillement. « Une lente asphyxie est à l’œuvre », assure Patrice Franceschi, qui a pu mesurer le désespoir de la population sur place.
Les gens se disent : « Si personne n’intervient, il n’y a plus aucun espoir pour nous. On va être assoiffés, affamés, il n’y a plus de travail, les prix augmentent, il nous faudra alors quitter notre terre. » Donc, il y aura des effets migratoires pour nous Européens.
Facteur aggravant : des années de forte sécheresse ont considérablement affecté le volume d’eau disponible dans toute la région. Cette pression de la Turquie sur les ressources hydrauliques est une nouvelle calamité pour les populations du nord-est de la Syrie.
France Culture, 13 novembre, Christian Chesnot