Le quotidien Libération aussi en fait une présentation élogieuse signée Lucile Commeaux dans un article du 6 mars 2025 « «Le Chant du père» d’Hatice Ozer, mémoires de fille »
« Au Théâtre du Rond-Point à Paris, la comédienne mélange stand-up, monologue et confessions dans un spectacle intime et burlesque.
C’est un spectacle qui se passe au ras du plateau : une lumière chaude y éclaire un sol parsemé de sable ocre où une jeune femme sert le thé à la turque, où elle plante des dizaines de fleurs jaunes, où elle s’assied pour écouter un homme assis sur une chaise, un «amoureux» comme on dit en Anatolie, de ceux qui parcourent les fêtes et les familles grattant les cordes du saz et chantant les steppes, le chagrin du chemin solitaire et le visage des jolies filles. C’est que le chant et la terre sont la même chose, et que le théâtre, pendant cette heure que dure le spectacle, en rend avec finesse et émotion une véritable équivalence.
Elles fleurissent un peu partout, ces formes de seul(e) en scène, souvent arrimées à l’expérience intime, mélange de stand-up, de monologue et de confession, comme surabondent les récits de soi sur les rayonnages des librairies. La comédienne Hatice Ozer, vue notamment chez Wajdi Mouawad, tient tout ça dans un équilibre remarquable, à l’image de la manière dont elle nous accueille dans la petite salle encore en pleine lumière : d’abord en racontant (grave) un cauchemar dans lequel elle nage au milieu de cadavres d’hommes qui sont tous son père ; puis en demandant aux spectateurs (espiègle) d’éteindre leurs téléphones en français puis en turc.
S’ensuit, dans un mélange de saynètes burlesques et de réflexions parfois un peu plus convenues, un récit de l’exil et du déracinement troué de silences et augmenté de chants. S’y mêlent sans didactisme politique ni excès de pathos des images de sa propre enfance et de la prononciation erronée de son prénom, l’un des plus donnés en Turquie, par la maîtresse d’école ; des images de son père arrivant dans la campagne française avec la vigueur de ses bras et l’immuabilité du sourire «des étrangers» ; des images des vieux immigrés comme lui, culs collés à leurs chaises dans les arrière-salles des kebabs. Le tour de force du spectacle réside dans l’arrivée, au mitan du spectacle, du père de la comédienne sur la scène depuis le haut des gradins : le personnage jusque-là raconté devient acteur, dont la jeune femme traduit les fables comiques et les chansons qu’il interprète avec une sobriété flegmatique. Foulant de ses propres pieds le plateau, le père ainsi rendu à sa mémoire donne au sol du théâtre une matière chaude et organique, celle de la terre, du thé et de la mélancolie.
Le Chant du père, Conception, texte, mise en scène et jeu : Hatice Ozer. Au Théâtre du Rond-Point à Paris jusqu’au 15 mars et en tournée.