Plusieurs dizaines de milliers de Russes se sont exilés en Turquie après l’invasion de l’Ukraine. Appelés au vote depuis vendredi, ils ne font pas montre d’un enthousiasme débordant.
France Info, le 18 mars 2024 par Marie-Pierre Vérot
Ils sont plusieurs dizaines de milliers de ressortissants à avoir choisi la Turquie et Istanbul après l’invasion de l’Ukraine. Ils font partie des près de deux millions de Russes, vivant à l’étranger, appelés à voter depuis vendredi 15 jusqu’au dimanche 17 mars. Vladimir Poutine est candidat à sa réélection pour obtenir un cinquième mandat à la tête de la Russie. Un scrutin joué d’avance, qui doit le porter au pouvoir jusqu’en 2030.
Pour ces Russes exilés dans la capitale turque, le café Grao sur la rive asiatique du Bosphore est un point de retrouvailles. Mais l’élection n’occupe guère les conversations. « Depuis un an et demi, je ne m’informe plus sur la Russie. Le résultat est aussi prévisible que le lever du soleil chaque matin, justifie Ilia, le serveur, qui n’ira pas voter cette année. Prendre part à cette élection, c’est participer à une comédie. Elle est en dehors de tout cadre légal. »
« C’est effrayant parce que la propagande fonctionne »
Arrivé en Turquie juste avant la guerre, Ilia consacre son énergie à construire sa vie ici. C’est devenu de plus en plus difficile car la Turquie renouvelle au compte-gouttes les permis de résidence des citoyens russes. Sasha, elle, ira voter pour avoir l’impression d’appartenir encore à un pays qui lui échappe chaque jour davantage. « Ça donne un peu l’illusion d’avoir le choix, s’explique-t-elle. Ça ne va rien changer. Mais cela me fait bizarre de ne pas participer parce que chacun aime son pays. C’est votre maison. Il est dur de s’en séparer parce que votre famille vit là-bas, vos amis aussi. Tout le monde ne peut pas quitter la Russie.
Nous sommes loin de l’engagement d’Eva, coordinatrice du projet Ark, qui soutient les exilés politiques russes en Turquie. Elle sera dimanche à midi devant le consulat russe, suivant la consigne des soutiens de l’opposant d’Alexei Navalny, mort le 16 février dernier. « L’idée, c’est de mettre un grain de sable dans la machine, explique-t-elle. Parce que si le régime peut montrer que Poutine est réélu avec succès et un énorme soutien populaire, alors il peut y avoir un durcissement dans l’avenir avec un nouvel ordre de mobilisation, plus de répression. S‘il est moins confiant, ce sera peut-être moins dur, mais on s’attend à ce qu’il se passe de mauvaises choses après le mois de mars et peut être à ce qu’une nouvelle vague de gens fuie le pays. »
Eva redoute également la réaction des autorités turques lors de sa mobilisation. À Istanbul, il n’avait par exemple par pas été possible de déposer des fleurs devant le consulat en hommage à Navalny. « Honnêtement, je ne sais pas à quoi cela va ressembler ici dimanche mais nous serons nombreux à y aller », conclut-elle.