Hala Kodmani analyse dans un article dans Libération du 1è mars 2023 la question du relogement des rescapés du tremblement de terre en Turquie.
Trois semaines après le séisme qui a dévasté le sud de la Turquie et fait plus de 50 000 morts, 1,5 million de personnes se sont retrouvées à la rue. Celles qui n’ont pu se réfugier chez des proches doivent se contenter de tentes en attendant la reconstruction. Un sujet national sensible à l’approche des élections.
Les jardins publics comme les grands ronds-points, les stades, les cours d’école ou tout autre espace possible dans les villes du sud de la Turquie sont désormais parsemés de tentes blanches flanquées du sigle «Afad». L’organisme turc de gestion des catastrophes et des situations d’urgences, a annoncé la semaine dernière avoir installé 300 809 tentes en 170 campements répartis dans les provinces touchées par le tremblement de terre du 6 février. Toujours pas assez pour abriter les quelque 1,5 million de personnes qui se sont retrouvées à la rue, selon les experts de l’ONU.
Après le choc et les ravages du séisme, les survivants doivent faire face au chamboulement de leur vie. A commencer par la quête d’un abri quand leurs maisons ont été détruites ou inhabitables parce que dangereusement ébranlées. Plus de 170 000 bâtiments se sont effondrés ou sont très fortement endommagés dans les onze provinces turques touchées par le tremblement de terre, selon la Banque mondiale, qui a estimé les dégâts à plus de 34 milliards de dollars. Une évaluation qui ne prend pas en compte les coûts de reconstruction, «potentiellement deux fois plus élevés» selon l’institution internationale.
Réponse inadaptée
Dans les villes les plus dévastées, comme Antioche, un million d’habitants se retrouvent sans abri, sans eau, sans électricité et privés de biens de première nécessité. Les plus chanceux sont partis se réfugier chez leurs familles ou leurs proches dans les villes turques voisines ou plus lointaines. Beaucoup d’autres, pris en charge par les organisations humanitaires, sont installés dans les campements et reçoivent aide alimentaire et produits d’hygiène. Certains ont aménagé des caravanes ou des pick-up, «meublés» de matelas et de couvertures pour loger leurs familles. Et nombre d’autres dorment dans leurs voitures, par absence de choix. Souvent aussi, par traumatisme et crainte de nouvelles répliques, ils préfèrent se garer loin de toute construction. Même dans les localités qui n’ont pas été touchées par le séisme, des campements et des caravanes ont été installés par les municipalités pour accueillir les habitants inquiets.
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Le «pardon» demandé lundi par Recep Tayyip Erdogan aux habitants de la province d’Adiyaman, dans le sud-est de la Turquie paraît décalé. C’est, en effet, une des régions les plus touchées par le séisme à cause des retards dans l’arrivée des secours les premiers jours. Mais l’urgence n’est plus de tirer des corps des décombres et de soigner les blessés. Elle est de se préoccuper des centaines de milliers de familles sans abri. Le président turc a bien promisdans son intervention lundi la construction de près de 50 000 nouveaux logements dans la province d’Adiyaman sur un total de 309 000 qui doivent sortir de terre dans les 11 provinces affectées par le séisme. Mais Erdogan ne s’est pas aventuré à préciser de calendrier pour des chantiers de reconstruction considérables.
Scandales
En attendant, les survivants du séisme risquent de passer un certain temps sous les tentes. Celles-ci auraient fait l’objet d’un commerce de la part du Croissant-Rouge turc. Selon le quotidien Cumhuriyet, qui a révélé l’affaire dimanche, l’organisation humanitaire officielle a vendu 2 050 tentes destinées à des rescapés à une ONG caritative turque pour 46 millions de livres turques (2,3 millions d’euros). L’information a suscité un tollé dans les médias et sur les réseaux sociaux turcs. «La plus grande organisation caritative de Turquie, le Croissant-Rouge a vendu des tentes au lieu de les distribuer gratuitement à ceux qui en ont besoin alors que les gens suppliaient pour en avoir trois jours après le séisme. C’est un scandale», a estimé le journaliste de Cumhuriyet à l’origine de la révélation de la vente.
Erdogan a, lui, accusé ceux qui critiquent le Croissant-Rouge d’être «malhonnêtes et vils». Il s’est attiré les critiques du chef du principal parti de l’opposition, Kemal Kilicdaroglu, qui a twitté : «Erdogan, vous avez insulté les victimes du séisme au sujet du Croissant-Rouge». Une polémique qui rappelle qu’une campagne électorale est en cours, malgré l’ampleur de la catastrophe. La gestion de celle-ci sera d’ailleurs déterminante pour le résultat des élections prévues le 14 mai, si la date est maintenue.
Hala Kodmani
Photo: Ozan Köse