« Le gigantesque siège du futur ministère de la Défense s’inscrit dans la stratégie d’expansion militaire tous azimuts de la Turquie. » explique Guillaume Perrier sur le Point le 16 septembre 2021
Recep Tayyip Erdogan a inauguré le dernier de ses chantiers monumentaux. Le 30 août, à l’occasion de la fête nationale qui marque la victoire militaire contre la Grèce, le président turc a posé la première pierre, à Ankara, d’un gigantesque « Pentagone » anatolien, siège du futur ministère de la Défense et nouvelle marque de l’affirmation de la puissance militaire du pays. De quoi rivaliser avec le véritable Pentagone, s’est enthousiasmé le ministre de la Défense Hulusi Akar. Reproduit sur une maquette, cet ambitieux projet évoque immanquablement son équivalent américain. Avec une touche turque, puisque les bâtiments seront disposés autour d’une étoile – l’entrée – et d’un croissant – des salles de conférences. Comme le symbole dessiné sur le drapeau national. Celui-ci sera plus grand encore, promet le président : le nouveau siège du ministère de la Défense pourra accueillir 15 000 fonctionnaires, sur 12,5 millions de mètres carrés de bureaux, d’espaces de travail et de rencontres officielles. Le site serait ainsi « le plus moderne et le plus fonctionnel au monde », doté de toutes les dernières innovations technologiques. « Nous allons mettre en place ici une structure si imposante qu’elle fera peur à nos ennemis et qu’elle donnera confiance à nos amis », a lancé Recep Tayyip Erdogan au cours de la cérémonie. Sa mise en service est prévue pour mai 2023, juste avant les prochaines élections présidentielle et législatives, et en amont des célébrations du centenaire de la fondation de la République de Turquie par Mustafa Kemal.
Le « croissant-étoile » sera édifié dans le district de Baglica, en périphérie de la capitale turque, non loin de la « forteresse » inaugurée en 2020 pour l’agence de renseignement (MIT), qui conserve toute son autonomie. Il regroupera à la fois le ministère civil et l’état-major des armées, les commandements de l’aviation, de la marine et de l’armée de terre… Le projet de complexe avait déjà été évoqué par Erdogan en 2013, rappelle l’analyste en questions stratégiques et militaires Metin Gürcan. Mais il s’est accéléré après la tentative manquée de coup d’État du 15 juillet 2016, qui a mis en évidence la fragilité du dispositif actuel avec des bureaux vétustes, datant des années 1930 et disséminés sur plusieurs sites du centre-ville de la capitale turque.
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Le montant de ce chantier pharaonique, estimé à plusieurs centaines de millions d’euros, n’a pas été révélé. Mais sa mise en œuvre a été confiée au groupe de BTP turc Rönesans. Celui-là même qui avait déjà été chargé de la construction de la « forteresse » du MIT, mais aussi du gigantesque palais présidentiel occupé par Erdogan depuis 2014, et de la résidence d’été dont il disposera bientôt sur la côte méditerranéenne.
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Ce regroupement sous un même toit de toutes les structures militaires doit renforcer la capacité et la coordination des opérations, a souligné le président turc. L’armée turque, deuxième puissance de l’Otan, s’est déployée sur de nombreux théâtres ces dernières années : en Syrie, en Irak, en Libye, dans les eaux de la Méditerranée ou encore dans la province du Haut-Karabakh, au côté de l’Azerbaïdjan, en octobre dernier. Le Pentagone turc pourrait indiquer la volonté de la Turquie de poursuivre cette stratégie d’expansion et de projection sur de nouveaux théâtres de conflits. Mais, souligne Metin Gürcan, il s’agit aussi pour Erdogan de « renforcer le contrôle du civil sur le militaire », un souci constant pour le « Reis » depuis qu’une partie de l’armée a tenté de le renverser en juillet 2016.
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En cinq ans, 21 000 militaires ont été purgés des forces armées et l’institution a été réformée en profondeur. « Le complexe augmentera-t-il les capacités et l’efficacité opérationnelle de l’armée turque ? Cela reste à voir, ajoute Gürcan. Mais il donnera certainement à Erdogan un motif de satisfaction à l’approche des prochaines élections et il engendrera de jolis profits pour les compagnies proches du gouvernement. »
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Le Point, 16 septembre 2021, Guillaume Perrier