Le maire emprisonné d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, principal rival du président Recep Tayyip Erdogan, a annoncé ce vendredi l’arrestation de son avocat Mehmet Pehlivan, exigeant sa libération immédiate.
LE PARISIEN avec l’AFP, le 28 mars 2025
« Dans l’esprit prohibitionniste, ni le mensonge ni la calomnie ne prennent fin. Cette fois, mon avocat Mehmet Pehlivan a été arrêté pour des motifs inventés de toutes pièces. Comme si la tentative de coup d’État contre la démocratie ne suffisait pas, ils ne peuvent tolérer que les victimes de ce coup d’État se défendent. Ils veulent ajouter un coup d’État légal au coup d’État démocratique. Le mal qu’une poignée d’incompétents inflige à notre pays s’accroît. Libérez immédiatement mon avocat », a lancé Ekrem Imamoglu sur X.
En parallèle, deux nouvelles journalistes, couvrant les manifestations qui agitent le pays depuis l’arrestation le 19 mars d’Ekrem Imamoglu, ont été arrêtées à l’aube, ce vendredi, selon le syndicat des journalistes turcs (TGS). Au total, dix journalistes arrêtés et incarcérés en début de semaine ont été relâchés jeudi, dont un photographe de l’Agence France-Presse.
Une vague de contestation
Les autorités sont confrontées à une vague de contestation inédite depuis 2013. Elles ont annoncé jeudi avoir arrêté 1 879 personnes depuis le 19 mars. Parmi elles, 260 ont été incarcérées ou étaient en cours d’incarcération, tandis que plus de 950 avaient été remises en liberté dont près de la moitié sous contrôle judiciaire, a indiqué le ministre turc de l’Intérieur, Ali Yerlikaya.
Ekrem Imamoglu est visé par des accusations de corruption qu’il dément. Depuis cette arrestation, des milliers de citoyens battent le pavé d’Istanbul et d’Ankara. Lundi, Imamoglu a été officiellement désigné candidat à la prochaine présidentielle, après une primaire du parti à laquelle des millions d’électeurs ont pris part dimanche. « Ce scrutin était au départ destiné aux seuls membres du CHP. Cette primaire a finalement été ouverte à tous les électeurs, en signe de soutien au mouvement contestataire. La participation a été massive : l’incarcération d’Imamoglu a galvanisé la colère », observe Élise Massicard, chercheuse au CNRS, spécialiste de la Turquie.
La foule de manifestants n’a cessé chaque jour de s’agrandir sur la place Taksim à Istanbul. Un lieu symbolique, où avaient déjà éclaté les dernières grandes mobilisations anti-Erdogan réprimées dans la violence en 2013. Depuis, le pouvoir a poursuivi sa politique liberticide, en multipliant les arrestations d’opposants et en poursuivant le détricotage systématique de l’État de droit et des contre-pouvoirs. En février dernier, l’interpellation de 300 personnes accusées de complicité avec le « terrorisme » a même rappelé les purges de 2016, à la suite d’une tentative de coup d’État.
Vers une nouvelle candidature d’Erdogan ?
Ce durcissement du régime peine à masquer une certaine fébrilité. « Jusqu’ici, les élections se déroulaient avec un pluralisme relativement respecté. On ne pouvait pas comparer la Turquie à la Russie. Désormais, Ankara entre dans un processus autocratique dont on ne connaît pas encore tous les contours. La peur de perdre le pouvoir pour l’AKP (le parti islamo-conservateur d’Erdogan) n’a jamais été aussi forte », constate Jean Marcou, professeur à Sciences-po Grenoble. D’où un rapprochement stratégique entamé ces dernières semaines entre le pouvoir et le parti kurde, le PKK.
L’an dernier, la victoire du parti d’opposition (CHP) aux élections municipales avait déjà infligé un sérieux revers à Erdogan, pourtant réélu un an plus tôt à la tête du pays. « Ce scrutin a révélé la montée d’une nouvelle élite politique incarnée par certaines figures comme Ekrem Imamoglu à Istanbul, ou Mansur Yavas à Ankara. Là où l’AKP apparaît comme un parti de plus en plus à bout de souffle », souligne l’universitaire. Dans la rue, une partie de la jeunesse, marquée par une lassitude et une perte de confiance envers un pouvoir jugé trop conservateur, a gonflé les rangs de la contestation.
Ce durcissement du régime pourrait s’expliquer aussi par le calendrier. Déjà réélu deux fois, l’homme fort de la Turquie ne pourra pas se représenter en 2028 sans déclencher une réforme de la Constitution… ou des élections anticipées. Une dernière option plus rapide, qui pourrait lui offrir un certain avantage, à condition que la dynamique d’opposition ne devienne pas trop forte dans le pays.