Le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a dénoncé une opération visant au « nettoyage ethnique des Arméniens du Karabakh ». La France a demandé une réunion en urgence du Conseil de sécurité de l’ONU, qui se tiendra jeudi après-midi.
Les appels au cessez-le-feu se multiplient après l’opération militaire déclenchée mardi 19 septembre par l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh, cette région sécessionniste, majoritairement peuplée d’Arméniens, que Bakou et Erevan se disputent depuis des décennies. L’Azerbaïdjan affirme mener une opération « antiterroriste », visant les « forces arméniennes » dans la région.
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a exigé un « arrêt immédiat des combats » dans un communiqué diffusé mercredi. « Le secrétaire général appelle dans les termes les plus forts à l’arrêt immédiat des combats, à la désescalade et au respect plus strict du cessez-le-feu de 2020 et des principes du droit international humanitaire », a affirmé son porte-parole Stéphane Dujarric.
« Les mesures antiterroristes seront interrompues si [les séparatistes arméniens] déposent les armes et sont désarmés », a affirmé le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, lors d’un appel téléphonique avec le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken.
L’escalade s’est invitée mardi en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, la France réclamant une réunion d’urgence du Conseil de sécurité pour prendre acte de l’offensive « illégale » et « injustifiable » menée par Bakou. Cette réunion aura lieu jeudi après-midi, a annoncé la présidence albanaise du Conseil mardi soir.
Un dernier bilan publié par les autorités séparatistes arméniennes fait état d’au moins vingt-sept morts dont deux civils, et plus de deux cents blessés. Des « femmes, des personnes âgées et des enfants » comptent parmi les victimes, ont-elles précisé. De son côté, l’Azerbaïdjan a annoncé la mort de deux civils, tués « par éclats d’obus à la suite d’une attaque des forces armées arméniennes ».
« Tirs d’artillerie et de roquettes »
La capitale du Haut-Karabakh – Stepanakert (nom arménien) ou Khankendi (nom azerbaïdjanais) – et d’autres villes de la région ont été ciblées, mardi, par des « tirs intensifs », a fait savoir la représentation des séparatistes en Arménie, sur Facebook. Les forces séparatistes ont affirmé tenter de « résister » à l’armée azerbaïdjanaise qui essaie d’avancer « en profondeur » dans l’enclave. Elles ont fait état mardi soir de combats tout au long du front, affirmant que « les forces armées azerbaïdjanaises recourent à des tirs d’artillerie et de roquettes, à des drones d’attaque, à l’aviation de combat », a expliqué l’armée séparatiste sur X (anciennement Twitter).
« Plus de 60 positions de combat des forces [séparatistes] arméniennes sont désormais sous le contrôle de nos forces armées », a affirmé mardi soir un porte-parole du ministère de la défense azerbaïdjanais, Anar Eyvazov, lors d’une conférence de presse.
Les autorités du Haut-Karabakh ont appelé l’Azerbaïdjan au cessez-le-feu « immédiatement, et à s’asseoir à la table des négociations », a tweeté le ministère des affaires étrangères du territoire séparatiste.
« Le seul moyen de parvenir à la paix (…) est le retrait inconditionnel et total des forces armées arméniennes (…) et la dissolution du prétendu régime » séparatiste, a déclaré la diplomatie azerbaïdjanaise dans un communiqué. L’Azerbaïdjan appelle « les forces armées arméniennes illégales [à] hisser le drapeau blanc, rendre toutes les armes et le régime illégal doit se dissoudre. Autrement, les opérations antiterroristes continueront jusqu’au bout », a affirmé l’administration présidentielle, qui assure être disposée, le cas échéant, à des pourparlers.
Le ministère de la défense arménien a assuré, de son côté, ne pas avoir de forces armées déployées dans la région, condamnant les « fausses déclarations » de Bakou.
Appels à la démission du premier ministre arménien
« L’Azerbaïdjan a lancé une opération terrestre visant au nettoyage ethnique des Arméniens du Karabakh », a dénoncé le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, dans une déclaration télévisée, assurant que la situation à la frontière était, elle, « stable » et que l’Arménie n’était « pas engagée dans des actions armées ». « Nous ne devons pas permettre à certaines (…) forces de porter un coup à l’Etat arménien. Il y a déjà des appels venant de différents endroits à mener un coup d’Etat en Arménie », a-t-il ajouté.
A la suite de ce discours à la nation, des centaines de manifestants se sont réunis devant le siège du gouvernement arménien et ont appelé à la démission de M. Pachinian. Face aux protestataires, la police avait bouclé les entrées du bâtiment gouvernemental. Le cordon policier, qui a été ciblé par des jets de bouteilles, résistait dans la soirée à une foule de manifestants le pressant pour pénétrer dans le bâtiment, dont des vitres de la porte d’entrée étaient brisées, selon les images de l’antenne arménienne du média américain RFE/RL.
Le service de sécurité arménien a mis en garde contre le risque de « troubles généralisés » dans le pays, promettant des « mesures pour maintenir l’ordre constitutionnel » et demandant aux citoyens de « ne pas céder aux diverses provocations ».
Au même moment, par ailleurs, ce sont des dizaines de manifestants arméniens qui s’étaient rassemblés devant l’ambassade de Russie à Erevan, dénonçant son inaction pour empêcher l’offensive armée azerbaïdjanaise. Dans sa déclaration, M. Pachinian a également appelé les Nations unies (ONU) et la Russie à « prendre des mesures ».
La Russie appelle à « cesser immédiatement l’effusion de sang »
Le ministère des affaires étrangères russe a appelé mercredi dans un communiqué « les parties prenantes du conflit à cesser immédiatement l’effusion de sang, à mettre un terme aux hostilités et à arrêter les pertes civiles » dans le Haut-Karabakh. « Toutes les étapes d’une solution pacifique sont énoncées dans les accords signés en 2020 et 2022 », avait précisé mardi la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova. La mission de maintien de la paix russe sur le territoire a appelé à un cessez-le-feu « immédiat » et annoncé procéder à des évacuations de civils dans « les zones les plus dangereuses » de la région.
« Plus de 7 000 personnes ont été évacuées de 16 localités des régions d’Askeran, Martakert, Martouni [et] Chouchi dans l’Artsakh », a déclaré sur X Gegham Stepanyan, le défenseur des droits de la région séparatiste.
De son côté, Emmanuel Macron a condamné mardi dans un communiqué « avec la plus grande fermeté » l’opération militaire lancée par l’Azerbaïdjan et appelé lui aussi Bakou à « une cessation immédiate de l’offensive ».
Lors d’un échange téléphonique avec Nikol Pachinian, le chef de l’Etat français a également exhorté « à une reprise sans délai des discussions pour (…) parvenir à une paix juste et durable entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et garantir les droits et la sécurité des habitants du Haut-Karabakh ».
« Ces actions aggravent une situation humanitaire déjà difficile au Haut-Karabakh et sapent les perspectives de paix », a renchéri le chef de la diplomatie américaine dans un communiqué. Antony Blinken a souligné que le recours à la force était « inacceptable » et appelé à « une cessation des hostilités ».
Soutien d’Erdogan à l’Azerbaïdjan
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a pour sa part dit, mardi, « soutenir les mesures prises par l’Azerbaïdjan (…)pour défendre son intégrité territoriale ». Dans un message publié sur X, le chef de l’Etat turc a ajouté que « le Karabakh est un territoire azerbaïdjanais. L’imposition d’un autre statut ne sera jamais acceptée », répétant son antienne selon laquelle la Turquie et l’Azerbaïdjan forment « une nation, deux Etats ».
Les rapports entre la Turquie et l’Arménie restent empoisonnés par les massacres d’Arméniens commis lors de la première guerre mondiale dans l’Empire ottoman, ancêtre de la Turquie, ce qu’Erevan et de nombreux pays considèrent comme un génocide – un terme qu’Ankara rejette.
L’opération militaire a été déclenchée après la mort de quatre policiers et de deux civils azerbaïdjanais dans l’explosion de mines dans le Haut-Karabakh, dans la nuit de lundi à mardi. Bakou avait accusé un groupe de « saboteurs » séparatistes arméniens d’avoir commis ces actes de « terrorisme ».
Elle survient dans un contexte de regain des tensions entre les deux pays autour du sort de l’enclave. Au début d’août, l’Arménie avait réclamé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) face à la « détérioration de la situation humanitaire » dans la région. Le corridor de Latchine, seul lien terrestre entre l’Arménie et le Haut-Karabakh, avait d’abord été entravé par des Azerbaïdjanais se présentant comme des manifestants écologistes, avant que Bakou n’instaure, le 11 juillet, un barrage routier à l’entrée de cette route en évoquant des raisons sécuritaires.
Le Haut-Karabakh, région montagneuse à majorité arménienne située en Azerbaïdjan, a été le théâtre de deux guerres au début des années 1990, puis à l’automne 2020. C’est l’une des zones les plus minées d’ex-URSS. Des explosions y font régulièrement des victimes.