Al-Monitor, 17 Fevrier 2021, Diego Cupolo (traduction)
Plus de quatre ans après la fermeture du journal pro-kurde Özgur Gündem, ordonné par l’Etat turc, un tribunal a condamné lundi quatre de ses administrateurs à des peines de prison pour des motifs liés au terrorisme.
Parmi les condamnés figurait Eren Keskin, une éminente avocate des droits de l’homme et coprésidente de l’Association turque des droits de l’homme. Elle fut rédactrice en chef temporaire lorsque le journal a été confronté à une persécution juridique en 2016.
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Lors d’une interview téléphonique Eren Keskin a déclaré que les procès en cours contre d’anciens employés et sympathisants d’Özgür Gündem donnait de la visibilité aux violations continues de la liberté d’expression en Turquie. Elle a aussi précisé qu’elle ferait appel du verdict “par tous les moyens légaux”.
“Je trouve cette décision illégale et illogique car elle viole la législation interne de la Turquie, les arrêts de la Cour de cassation et les conventions internationales dont la Turquie est signataire”, a déclaré Mme Keskin à Al-Monitor.
Lundi, la 23e Cour d’Istanbul pour les crimes graves a condamné Keskin, ainsi que Kemal Sancili et Inan Kizilkaya, respectivement éditeur et rédacteur en chef d’Özgur Gündem, pour appartenance à une organisation terroriste armée, condamnant chacun des accusés à six ans et trois mois de prison. Le tribunal a également condamné le co-rédacteur en chef Zana Kaya à deux ans et un mois de prison pour avoir fait de la propagande pour une organisation terroriste.
En 2016, Özgur Gündem était l’un des 130 médias fermés par le gouvernement pendant l’état d’urgence imposé après une tentative de coup d’État cette année-là. Des dizaines d’employés de journaux ont été détenus, certains alléguant des mauvais traitements pendant leur détention.
Le journal a reçu l’ordre de cesser ses activités après les descentes de police dans ses bureaux d’Istanbul en août 2016, en raison de liens présumés avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Avant la fermeture d’Özgur Gündem, Keskin faisait partie des dizaines de défenseurs des droits de l’homme et de journalistes qui ont été les rédacteurs en chef invités symboliques du journal pendant une journée chacun, en signe de solidarité. Keskin a nié les accusations selon lesquelles, dans son rôle temporaire, elle aurait travaillé sous les ordres du PKK.
“Les tribunaux doivent prouver avec des preuves concrètes qu’un individu a soumis sa volonté au groupe armé”, a déclaré Keskin à Al-Monitor. “Je suis avec le mouvement des droits de l’homme depuis plus de 30 ans. Je ne suis membre d’aucune organisation, à l’exception de l’Association des droits de l’homme”.
Dans le cadre d’une affaire distincte en mai 2019 qui reste en appel, Keskin et six employés d’Ozgur Gundem ont chacun été condamnés à trois ans et neuf mois de prison pour propagande terroriste. Actuellement, Keskin a déclaré qu’elle est confrontée à 143 affaires contre elle en plus de l’affaire principale d’Ozgur Gundem pour laquelle elle a été condamnée cette semaine.
D’autres personnalités de premier plan sont accusées de soutenir Özgur Gündem, notamment Erol Onderoglu, représentant de Reporters sans frontières en Turquie et rédacteur en chef du site d’information Bianet, Sebnem Korur Fincanci, experte en médecine légale de renommée internationalement et présidente de l’Association médicale turque, et Ahmet Nesin, du site d’information en ligne Arti Gercek.
Tous trois sont accusés de promouvoir la propagande terroriste par l’intermédiaire d’Özgur Gündem. Les procureurs ont fait appel du verdict d’un précédent procès, qui s’est conclu par leur acquittement en 2019.
“Les procès des rédacteurs en chef invités dans le cadre de la campagne de solidarité de 2016 étaient un avertissement pour ceux qui oseraient se mettre aux côtés des journalistes d’Özgur Gündem, et cela reste le cas dans le nouveau procès d’Erol Onderoglu, Ahmet Nesin et Sebnem Korur Fincanci”, a déclaré Ozgur Ogret, représentant en Turquie du Comité pour la protection des journalistes, à Al-Monitor.
Prises ensemble, ces affaires mettent en évidence la pression constante exercée par l’État sur les médias indépendants en Turquie, où la majorité des grands organes d’information sont gérés par le gouvernement ou exploités par des entreprises favorables au gouvernement. Dans son classement mondial de la liberté de la presse pour 2020, Reporters sans frontières a classé la Turquie au 154e rang sur 180 pays, les défenseurs des droits des médias s’inquiétant souvent des obstacles importants auxquels sont confrontés les médias pro-kurdes tels qu’Özgur Gündem.
Sachant qu’il a été publié sous de nombreux noms différents dans le passé l’histoire d’Özgur Gündem, est jalonnée d’actions judiciaires vindicatives qui tentent de bâillonner cette tradition de journalisme pro-kurde”, a déclaré Ogret à Al-Monitor, ajoutant que le dernier verdict était “le maillon le plus récent de cette longue chaîne”.
Suite à la décision de lundi, Keskin a posté un tweet disant qu’elle avait été jugée à plusieurs reprises et qu’elle avait déjà été en prison pour ses pensées. Elle a déclaré “Je ne vais nulle part”.
“En Turquie, la liberté d’expression et de la presse se trouve dans une situation épouvantable, du jamais vu “, a déclaré Keskin à Al-Monitor. ” Dans les années 90, les violations des droits de l’homme étaient graves, mais la liberté d’expression n’était pas sous pression comme aujourd’hui. Aujourd’hui, aucun des dissidents n’est autorisé à exprimer ses opinions”.
Milena Buyum, militante turque d’Amnesty International, a condamné le verdict de lundi dans une déclaration.
“Eren Keskin a consacré sa vie à défendre les droits des femmes, des prisonniers et s’est battue pour que justice soit faite pour les familles des disparus”, a déclaré Buyum lundi. “Ce verdict est un nouvel exemple choquant de l’utilisation des lois anti-terroristes pour criminaliser des activités légitimes et pacifiques”.
Diego Cupolo is a freelance journalist and photographer based in Istanbul, Turkey. His work has appeared in The Atlantic, The Financial Times, Foreign Policy and The New Statesman, among other publications.
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