« Le président Recep Tayyip Erdoğan parlait encore il y a quelques mois de Bachar al-Assad comme d’un meurtrier. Depuis le déclenchement de la révolution syrienne, le dirigeant turc n’avait pas de mots assez durs pour qualifier le régime de Damas, dont il souhaitait voir la chute. En septembre 2012, Recep Tayyip Erdoğan s’imaginait prier à la grande mosquée des Omeyyades, dans une Damas délivrée du joug du clan Assad » rapporte Timour Ozturk dans Les Echos du 29 août 2022.
Une décennie plus tard, il n’est plus question de chasser Bachar al-Assad du pouvoir, mais bien de reprendre langue avec lui. Affirmant que le « ressentiment » n’avait pas sa place en politique, le président turc souligne désormais la nécessité de franchir « de nouvelles étapes » avec la Syrie.
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La volonté turque de renouer avec Damas s’est d’abord exprimée par la voix du ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu. Le ministre a avancé le 11 août que l’opposition et le régime devaient se « réconcilier », provoquant un tollé chez les militants anti-régime dans les zones du Nord syrien occupées par l’armée turque.
Mevlüt Çavuşoğlu a depuis révélé avoir rencontré son homologue syrien en octobre 2021 en marge d’un sommet à Belgrade. C’est ensuite Devlet Bahçeli, le chef du Parti d’action nationaliste (MHP – extrême droite) et principal partenaire politique de Recep Tayyip Erdoğan, qui a plaidé, à son tour, pour un rétablissement des relations avec Bachar al-Assad. « Depuis 2015 et l’alliance de Recep Tayyip Erdoğan avec le MHP, la ligne ultranationaliste a gagné du terrain sur la vision islamiste des affaires étrangères », analyse Solène Poyraz, spécialiste des conséquences de la crise syrienne sur la Turquie depuis 2011. « Le soutien turc aux Frères musulmans ne dicte plus la politique turque au Moyen-Orient comme l’ont montré par exemple les efforts de normalisation diplomatiques avec l’Egypte », observe la chercheuse.
La priorité des Turcs en Syrie n’est depuis longtemps plus la chute du régime, mais la lutte contre les combattants kurdes affiliés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). « Une reprise du dialogue avec Damas visera sûrement à constituer un front commun avec le régime syrien contre les forces kurdes », estime Solène Poyraz.
Retour des réfugiés
L’autre enjeu pour Recep Tayyip Erdoğan est le retour des quatre millions de réfugiés syriens présents sur son sol. Après une décennie de politique d’accueil, le leader turc cède à la pression de son opposition. Sa propre base est travaillée par une violente montée de la xénophobie, dans un contexte de grave crise économique.
Dorothée Schmid, responsable du programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales (IFRI) reste toutefois sceptique : « Les obstacles sont encore nombreux sur le chemin d’une réconciliation. La Russie soutient aujourd’hui un rapprochement, mais les rapports entre Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdoğan sont fragiles. L’influence de l’Iran à Damas est aussi un élément à prendre en compte, car les relations sont très fraîches entre Téhéran et Ankara ».
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Les rumeurs d’une rencontre prochaine entre les présidents turc et syrien ont été démenties. La presse turque n’a, elle, pas attendu pour exhumer les photos des vacances partagées par Bachar al-Assad et Recep Tayyip Erdoğan dans la station balnéaire turque de Bodrum en 2008. C’était avant que les printemps arabes ne bouleversent les équilibres régionaux.
Les Echos, 29 août 2022, Timour Ozturk, Photo/Bulent Kilic/AFP