« Le président turc Recep Tayyip Erdogan a réaffirmé lundi 16 mai que la Turquie restait fermement opposée à l’arrivée de la Finlande et de la Suède dans l’Alliance atlantique, et qu’elle ne “cédera pas”. Les Occidentaux y voient surtout une manœuvre d’Ankara pour obtenir des concessions sur le dossier kurde » rapporte Courrier International du 17 mai 2022.
Alors que son pays officialisait sa décision historique d’adhérer à l’Otan, le ministre suédois des Affaires étrangères, Peter Hultqvist, a déclaré lundi qu’une délégation suédoise se rendrait très prochainement à Ankara pour tenter de résoudre le différend avec la Turquie. La réponse du président turc a été cinglante : “Ils vont venir pour nous convaincre ? Qu’ils ne se fatiguent pas ! ”.
“Comment allons-nous leur faire confiance ? La Suède est la pépinière des organisations terroristes”, a-t-il ajouté. Erdogan accuse la Finlande et à la Suède de bienveillance à l’égard de sa bête noire, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) – qualifié d’organisation terroriste par l’Union européenne et les États-Unis – et martèle depuis vendredi qu’il bloquera l’adhésion des deux pays à l’Otan, dont la Turquie est membre depuis 1952.
Mais l’apparente intransigeance d’Ankara pourrait n’être qu’une façade, selon Foreign Policy. Le magazine américain a parlé à “plusieurs responsables européens” qui voient dans les gesticulations d’Erdogan une “manœuvre grossière” et qui “s’attendent à ce que la Turquie finisse par soutenir l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Otan, après des négociations diplomatiques”.
Pour la chaîne de télévision suédoise SVT, les déclarations d’Erdogan vont immanquablement “accentuer la pression sur la Suède et la Finlande pour qu’elles fassent des concessions”. El Mundo partage cette analyse tout en s’interrogeant sur les demandes d’Ankara.
Les Turcs “veulent qu’on les écoute. Ou plutôt, ils veulent profiter de la situation pour dérouler une liste de griefs historiques”, écrit le quotidien espagnol. “Car s’ils ont usé de multiples formules pour exprimer leur hostilité envers la Suède et la Finlande, sans opposer un ‘non’ définitif […], ils n’ont pas expliqué exactement ce qu’ils voulaient en échange de leur feu vert. Depuis samedi, ils évoquent plusieurs demandes, sans se concentrer sur aucune”.
La Finlande “conciliante”, la Suède “provocatrice”
Un premier round de négociations a eu lieu ce week-end, en marge de la réunion des ministres des Affaires étrangères à Berlin. Le chef de la diplomatie turque Mevlut Cavusoglu a notamment exigé des deux pays scandinaves qu’ils “mettent fin à leur soutien à des organisations terroristes”, sans autres précisions, rapporte le Wall Street Journal.
Le ministre aurait aussi réclamé des candidats à l’Otan la levée de l’embargo sur les ventes d’armes à la Turquie, imposé en 2019 par la Suède, la Finlande et plusieurs autres pays, en représailles de “l’offensive d’Ankara contre des militants kurdes en Syrie, après le retrait partiel des troupes américaines”, rappelle le quotidien économique.
L’édition en anglais d’Hürriyet note que les négociations du week-end ont révélé le contraste entre “l’approche conciliante” de la Finlande et les déclarations “provocatrices” de la Suède, mais qu’Ankara “attendait désormais de voir quelles garanties pouvaient offrir les deux pays”.
Le média panarabe Al-Monitor a interrogé Aaron Stein, expert au Foreign Policy Research Institute de Philadelphie, qui fustige l’opportunisme turc. La crise actuelle “sera probablement surmontée, mais une fois encore, [la Turquie] se donne en spectacle, et en faisant cela, elle sape la solidarité au sein de l’Otan, à un moment ou deux membres veulent adhérer car ils craignent, à juste titre, une agression de la Russie. La Turquie fait passer ses propres problèmes de sécurité avant ceux de la sécurité collective de l’Alliance”.
Erdogan n’a pas été le seul à réagir lundi à l’officialisation des candidatures suédoise et finlandaise à l’Otan : à Moscou, le président russe Vladimir Poutine, a assuré “n’avoir aucun problème” avec les deux pays, mais averti que l’installation d’infrastructures militaires de l’Otan sur leurs territoires pourrait “entraîner une réponse” de la Russie, rapporte The Moscow Times. La nature de la réponse “dépendra des menaces à notre encontre”, a-t-il ajouté.
Courrier International, 17 mai 2022