Les marchés s’attendent à la plus forte hausse des taux depuis 30 ans en Turquie pour faire rebondir la livre et chuter l’inflation. La confiance dans la monnaie et la politique économique a été fortement affectée et nécessite un changement radical de cap monétaire pour éviter l’abîme. Par Nessim Aït-Kacimi dans Les Echos du 21 juin 2023.
La Turquie pourrait procéder à sa plus forte hausse des taux d’intérêt depuis 30 ans lors de sa réunion de jeudi. Les banques et les courtiers s’attendent à ce que la Banque de Turquie double voire triple son taux directeur, actuellement à 8,5 %. En moyenne, le consensus des prévisions de l’agence Reuters s’attend à une hausse des taux de 1.150 points de base à 20 %. Les anticipations sur le niveau des taux vont de 14 % à 40 %. Critiquée pour son manque d’indépendance à l’égard du pouvoir, la banque centrale joue sa crédibilité à l’issue de cette réunion de la dernière chance. Elle doit frapper fort pour convaincre les marchés que le combat contre l’inflation est bien désormais une priorité nationale.
La banque JP Morgan s’attend à un resserrement monétaire jusqu’à 25 %, puis 30 % en cours d’année. Cette hausse des taux massive, si elle bride l’inflation, entraînera une incontournable récession au second semestre. Mais les autorités turques n’ont plus d’autre choix que de recourir à des remèdes radicaux pour restaurer la confiance dans la monnaie et faire chuter une inflation qui était de 40 % en mai. Dès juillet, le salaire mensuel minimum va être augmenté de 34 %.
La Turquie avait procédé à la plus forte hausse des taux de son histoire lors de la crise financière de mars 1994. En quelques semaines, le taux au jour le jour avait été multiplié par 10, passant ainsi de 70 % à 700 %. La situation actuelle n’est pas aussi catastrophique mais elle cumule de nombreux déséquilibres qui se sont aggravés du fait de l’opposition du président Erdogan à laisser sa banque centrale remonter les taux. Il a dû céder après les élections.
La vie après le krach
Après son krach en mai , la monnaie turque s’est stabilisée. Le dollar s’établit autour de 23,6 livres et l’euro juste en dessous de 26 livres. Une hausse des taux supérieure à 10 % ramènerait le dollar vers la zone des 20 à 21 livres turques. Lors de la dernière grande hausse des taux en Turquie en novembre 2020 (+475 points de base), la livre n’avait connu qu’un rebond modeste de 2 %. « Il n’est pas encore sûr que les autorités parviendront à restaurer la confiance dans la livre turque et le système financier », estime la banque Goldman Sachs. Les élections municipales de mars 2024 constituent un motif d’inquiétude pour les marchés. Le pouvoir pourrait être tenté de stopper son retour à l’orthodoxie en optant pour des mesures populistes afin de peser sur le scrutin.
Pour Marek Drimal, économiste sur les pays émergents à la banque SG, le dollar va chuter de 10 % à 21,2 livres fin juin et à 21,5 livres en septembre avant de remonter en fin d’année vers 24 livres (son niveau actuel). La nouvelle politique monétaire restrictive va y contribuer « en limitant l’expansion du crédit et en permettant au pays de reconstituer ses réserves de change épuisées », estime-t-il. Avant l’échéance présidentielle, la banque centrale turque était massivement intervenue pour limiter le repli de sa monnaie et éviter une crise des changes qui aurait mis en danger la réélection du président Erdogan. Du fait de son endettement massif (auprès d’autres banques centrales ou des banques turques), les réserves nettes de la banque de Turquie sont négatives à – 16 milliards de dollars.