La Turquie n’a pas besoin de F-16, mais d’aide humanitaire – LES CRISES

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Jacob Batinga et Jacobin Mag rapporte dans Les Crises du 9 mars 2023. Le tremblement de terre en Turquie et en Syrie est l’une des pires catastrophes naturelles de ce siècle. Le bilan des victimes s’élève aujourd’hui à trente-cinq mille personnes – mais ce chiffre devrait augmenter considérablement. Des dizaines de milliers d’autres personnes ont été blessées, submergeant les hôpitaux déjà surchargés de Syrie et de Turquie. De vastes étendues du nord de la Syrie et du sud de la Turquie réduites à des décombres et des millions de gens ayant désespérément besoin d’aide humanitaire.

Pourtant, même au lendemain de cette crise humanitaire, à un moment où les ressources, le personnel et l’aide de l’État font cruellement défaut, la Turquie continue d’attaquer les Kurdes. Selon les rapports de l’Observatoire syrien des droits de l’homme et les déclarations des Forces démocratiques syriennes (FDS), le 12 février (moins d’une semaine après le tremblement de terre), la Turquie a bombardé un véhicule des FDS à Kobané, une ville à majorité kurde dans le nord de la Syrie, et a bombardé les forces kurdes à Tel Rifaat, au nord d’Alep. Rien n’indique que ces bombardements vont s’arrêter.

En contraste avec la réponse initiale désastreuse et inadéquate de la Turquie au tremblement de terre, le militarisme turc semble plus fonctionnel que jamais.

Bien que ces attaques récentes soulignent la brutalité particulière du bombardement de communautés souffrantes et endeuillées à la suite d’une catastrophe naturelle, les attaques turques contre les Kurdes ne sont en aucun cas nouvelles. Le bilan des atrocités commises par la Turquie contre les Kurdes est long et bien documenté. Bien qu’elle combatte ostensiblement le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) – une organisation militante qui réclame une plus grande autonomie et des droits civils pour les Kurdes – la Turquie a tué des dizaines de civils kurdes en Irak, en Syrie et en Turquie. Dans les années 1990, les forces turques ont tué des dizaines de milliers de Kurdes dans le sud de la Turquie et, ces dernières années, elles ont bombardé des centaines de fois le nord de l’Irak.

Dans le nord de la Syrie, le traitement turc des Kurdes a été particulièrement brutal. La Turquie bombarde fréquemment les communautés kurdes en Syrie, ciblant les Unités de protection du peuple (YPG) liées au PKK et les FDS, alliés occidentaux largement impliqués dans la défaite de l’EI en Syrie. En une seule campagne de bombardement de plusieurs semaines en janvier 2018, la Turquie a tué plus d’un millier de Kurdes dans la seule ville d’Afrin. Au cours des invasions répétées de ces sept dernières années, la Turquie a occupé un vaste territoire dans le nord de la Syrie, et les forces turques ont commis des crimes de guerre généralisés et systématiques contre la population kurde, y compris un nettoyage ethnique.

Fait crucial, une carte des frappes aériennes turques en Syrie produite par Airwars, une organisation qui suit l’utilisation des armes explosives dans les conflits à travers le monde, montre que la zone la plus touchée par le tremblement de terre est également la zone la plus fréquemment bombardée par l’armée de l’Air turque ces dernières années.

Étant donné que la Turquie a démontré son refus de mettre fin à ses attaques contre les Kurdes, même au milieu de l’une des pires catastrophes naturelles de ce siècle, les États-Unis doivent-ils continuer à fournir l’équipement utilisé pour mener à bien cette agression ?

Les États-Unis – et d’autres pays occidentaux – ont une longue histoire d’armement de la Turquie avec des armes utilisées ensuite directement sur les Kurdes. Actuellement, l’administration Biden tente de faire avancer un transfert massif d’armes à la Turquie. Ce lot d’armes comprend une nouvelle flotte de F-16 ainsi que des mises à niveau des F-16 existants de la Turquie – les mêmes chasseurs-bombardiers utilisés pour mener des raids aériens sur les villes kurdes.

Certains membres du Congrès s’opposent à cette vente. Le sénateur Bob Menendez a notamment déclaré qu’il avait l’intention de bloquer le transfert d’armes à la Turquie en raison des efforts continus du président turc Recep Tayyip Erdoğan pour « saper le droit international, ignorer les droits de l’homme et les normes démocratiques, et adopter un comportement alarmant et déstabilisant en Turquie et contre les alliés voisins de l’OTAN, à savoir la Grèce ». D’autres membres du Sénat, cependant, sont moins catégoriques dans leur opposition à la vente. Dans une lettre adressée au président Joe Biden, un groupe bipartite de vingt-neuf sénateurs a conditionné le transfert d’armes, déclarant qu’ils ne soutiendraient pas l’accord à moins que la Turquie n’accepte d’approuver l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN. Toutefois, même si le Congrès décidait de bloquer la vente d’armes, une majorité des deux tiers est nécessaire pour surmonter un véto présidentiel.

Mais à la lumière du tremblement de terre, l’administration Biden devrait se demander si elle veut soutenir et alimenter davantage l’agression turque au lendemain d’une catastrophe naturelle, ou profiter de ce moment pour encourager la reconstruction et la diplomatie.

Les Nations Unies estiment que plus de cinq millions de personnes sont devenus des sans abris à la suite du tremblement de terre, et que des millions d’autres ont un besoin urgent d’aide humanitaire – dont plusieurs millions d’enfants. Selon les experts de l’Australian Earthquake Engineering Society, la reconstruction des infrastructures et des maisons détruites par le tremblement de terre pourrait prendre des années, voire une décennie. Ce lot d’armes et de F-16 est estimé à un coût astronomique de vingt milliards de dollars, argent qui devrait être consacré à l’aide humanitaire et la reconstruction.

En outre, ce moment peut être utilisé pour soutenir la diplomatie, plutôt que l’agression. À la lumière du tremblement de terre, le PKK a publié un cessez-le-feu unilatéral, déclarant que puisque « des milliers de nos concitoyens sont sous les décombres », il mettrait fin à toutes ses opérations « tant que l’État turc n’attaque pas ». Au lieu de cela, le porte-parole du PKK a déclaré : « Tout le monde doit se mobiliser pour sauver notre peuple des décombres. » Le gouvernement turc n’a pas réagi.

En cette période de mort, de destruction et de souffrance inimaginables, il est inadmissible que l’État turc détourne des ressources indispensables de l’aide humanitaire et de la reconstruction pour financer son militarisme continu. Les États-Unis devraient profiter de ce moment pour encourager la Turquie à accepter le rameau d’olivier offert par le PKK, plutôt que de lui envoyer des armes de pointe qui seront utilisées sur une population qui souffre déjà des conséquences dévastatrices d’une catastrophe naturelle. Ce tremblement de terre devrait être le dernier clou du cercueil de la vente de F-16 proposée par l’administration Biden. Les États-Unis ont déjà trahi les Kurdes à de nombreuses reprises – cette fois-ci ce devrait être différent.

Jacob Batinga est écrivain, militant des droits humains et candidat au doctorat à la faculté de droit de l’université de Californie à Berkeley. Il se concentre sur les questions liées à la coercition économique, au commerce des armes et au droit international.

Jacob Batinga rapporte dans Les Crises du 9 mars 2023.

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