L’organisation d’élections municipales, le 11 juin, dans plusieurs provinces syriennes est perçue comme une menace par Ankara.
Le Monde, le 6 juin 2024, par Marie Jégo
Les Kurdes syriens sont de nouveau sous la menace d’une intervention militaire turque. En cause, le projet de l’administration kurde d’organiser, le 11 juin, des élections municipales dans les provinces sous son contrôle au nord et à l’est de la Syrie. « Il n’est pas possible d’accepter une telle situation », a déclaré Yasar Güler, le ministre turc de la défense, à l’agence Associated Press, lundi 3 juin. Pour lui, cette initiative est une étape vers la création d’une entité kurde autonome aux marches de la Turquie, ce qui la rend « inacceptable ».
Sans entrer dans les détails, le général Güler a réitéré la volonté de son pays d’établir une « zone de sécurité » en Syrie et en Irak afin de contrer la menace posée par les militants kurdes. « Nous n’accepterons aucun fait accompli au détriment de notre sécurité nationale et de l’intégrité territoriale de nos voisins », a-t-il conclu.
Ce scrutin municipal est un chiffon rouge pour la Turquie car l’organisation politico-militaire kurde les Unités de protection du peuple (YPG) à son initiative est vue par Ankara comme une succursale du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, autonomiste), fondé par des Kurdes de Turquie en 1978. Or, le PKK, qui a mené, des années durant, une insurrection armée contre l’Etat turc, est considéré comme une organisation terroriste non seulement par la Turquie, mais aussi par l’Union européenne, le Canada et les Etats-Unis.
En Syrie pourtant, les YPG sont organisés et puissants. Soutenus par les Etats-Unis dont ils ont été les meilleurs alliés contre l’organisation Etat islamique au moment de la guerre, ils ont pu établir une administration autonome dans les zones qu’ils contrôlent, à Rakka, à Hassaké, à Deir ez-Zor, où ils gèrent des installations pétrolières, ainsi que dans une partie de la région d’Alep. Un début d’autonomie qui irrite fortement les dirigeants turcs. Le soutien américain aux forces kurdes de Syrie est depuis des années la principale pomme de discorde entre Ankara et Washington.
« Nous n’hésiterons pas à agir »
C’est pour chasser les combattants kurdes, jugés menaçant pour son intégrité, que la Turquie a mené plusieurs opérations militaires au nord de la Syrie entre 2016 et 2022, ce qui lui a permis de prendre le contrôle d’une large portion de territoire. Une « zone de sécurité » a ainsi été créée, de plusieurs centaines de kilomètres de long, sur une profondeur de trente kilomètres. Ces terres sont désormais entièrement administrées par Ankara. La nouvelle intervention viserait à prolonger cette bande de terre plus loin vers l’est, en Syrie et en Irak, où le PKK est implanté depuis des années, notamment dans son nid d’aigle des monts Qandil, entre le Kurdistan iranien et le Kurdistan irakien.
La Turquie n’hésitera pas à intervenir, c’est ce qu’a laissé entendre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, jeudi 30 mai. « Nous suivons de près les actions agressives menées par l’organisation terroriste contre l’intégrité territoriale de notre pays et de la Syrie sous le prétexte d’une élection », a-t-il déclaré lors dans un discours prononcé devant des militaires à l’ouest du pays. « Nous avons fait ce qu’il fallait par le passé face au fait accompli. Nous n’hésiterons pas à agir de nouveau si nous sommes confrontés à la même situation », a-t-il martelé.
L’intervention n’est peut-être pas pour demain, mais les drones turcs ciblent sans relâche les infrastructures et les militants des YPG en Syrie, du PKK en Irak. Lundi 3 juin, deux membres des forces kurdes de sécurité ont été tués par une frappe de drone non loin de la ville de Kobané, en territoire syrien. Vendredi 31 mai, au lendemain du discours martial du président Erdogan, des drones turcs ont tué quatre responsables kurdes et blessé onze civils à Qamishli dans la province d’Hassaké, contrôlée par les YPG.