« Hatice Cengiz, la fiancée du journaliste Jamal Khashoggi, qui l’attendait devant le consulat saoudien le jour du meurtre, le 2 octobre 2018, a aussitôt annoncé la décision de ses avocats de faire appel » dit Le Monde.
La Turquie s’est débarrassée, jeudi 7 avril, de l’encombrant dossier Khashoggi en le renvoyant à l’Arabie saoudite, plus de trois ans après l’assassinat tragique du journaliste saoudien à Istanbul. Hatice Cengiz, la fiancée de Jamal Khashoggi, qui l’attendait devant le consulat saoudien le jour du meurtre, le 2 octobre 2018, a aussitôt annoncé la décision de ses avocats de faire appel.
L’ultime audience du procès par contumace ouvert en juillet 2020 de vingt-six Saoudiens accusés a duré quelques minutes avant que le juge du tribunal d’Istanbul exprime la décision de clore l’affaire. Le suspense était très limité : le ministre de la justice turc, Bekir Bozdag, avait annoncé avoir donné un avis positif à la requête du procureur, qui souhaitait « clore et transférer le dossier » à Riyad.
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L’affaire polluait les relations
Pour la Turquie, qui cherche à renouer avec le royaume saoudien, dont elle a besoin pour soutenir son économie en difficulté, il était urgent de clore cette affaire qui pollue leurs relations.
« Nous ne sommes pas gouvernés ici par une famille, comme en Arabie saoudite. Nous avons un système judiciaire qui répond aux doléances des citoyens : à ce titre, nous allons faire appel », a rapidement annoncé Mme Cengiz à la presse devant le tribunal. Pour elle, le procureur turc satisfaisait aux « demandes saoudiennes » :
Nous savons très bien que les autorités ne feront rien. Comment peut-on imaginer que les assassins vont enquêter sur eux-mêmes ?
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Pour l’un de ses avocats, Me Gokmen Baspinar, « cette décision de transférer le dossier va à l’encontre de la loi » et « constitue une violation de la souveraineté turque ». « Il n’y a aucune poursuite en Arabie saoudite. Les autorités saoudiennes ont déjà clos le procès et décidé d’acquitter de nombreux suspects », a rappelé le défenseur.
Les organisations de défense des droits humains ont dénoncé ces derniers jours un enterrement de première classe à la demande des autorités saoudiennes, le dossier Khashoggi constituant l’ultime obstacle au rapprochement entre les deux puissances régionales sunnites.
« La Turquie envoie un signal effrayant »
« Le tribunal a accepté de transférer l’affaire à l’Arabie saoudite comme ça, en une phrase, sans même [prévenir] les avocats du rejet de leurs requêtes », s’est indignée sur Twitter Milena Büyüm, une représentante d’Amnesty International en Turquie.
Pour Erol Önderoglu, représentant de Reporters sans frontières à Istanbul, par cette décision, « la Turquie envoie un signal effrayant concernant le respect qu’elle accorde à la liberté de la presse ».
Le 2 octobre 2018, le journaliste saoudien de 59 ans, éditorialiste critique au quotidien américain The Washington Post, avait été assassiné et son corps démembré à l’intérieur du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul où il venait demander un document nécessaire à son mariage, selon la Turquie.
Le procureur d’Istanbul avait défendu sa position en faisant valoir que « l’affaire traîne, parce que les ordres de la cour ne peuvent être exécutés, les accusés étant des ressortissants étrangers ».
Le jour du meurtre, Mme Cengiz attendait la victime dans la rue, mais son fiancé n’est jamais réapparu et ses restes n’ont jamais été retrouvés. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avait alors promis de « tout faire » pour élucider e meurtre « politique » et « prémédité », qu’il qualifiait « d’assassinat barbare ».
Mais Ankara, en proie à une crise économique liée à l’effondrement de sa monnaie et à une forte inflation – plus de 60 % sur les douze derniers mois –, cherche le rapprochement avec la monarchie saoudienne.
Le chef de l’Etat, qui multiplie depuis plusieurs mois les initiatives de réconciliation avec les puissances régionales – Emirats arabes unis, Egypte et Israël, entre autres –, avait annoncé au début de janvier une visite imminente en Arabie saoudite. Il semble toutefois n’avoir pas encore reçu d’invitation.
Un rapport des services de renseignement américains accuse le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman, d’avoir « validé »l’assassinat, exécuté par un commando d’agents venus d’Arabie saoudite. Après avoir nié le meurtre, Riyad avait fini par dire qu’il avait été commis par des agents saoudiens ayant agi seuls.
A l’issue d’un procès opaque en Arabie saoudite, cinq Saoudiens ont été condamnés à mort et trois à des peines de prison – les peines capitales ont depuis été commuées.
Récit : De l’affaire Hariri à l’assassinat de Khashoggi, la méthode « MBS »
Le Monde, 6 avril 2022, Photo/Ozan Kose/AFP