Avec une inflation proche de 70 %, l’économie turque est en surchauffe. Pour stabiliser les prix, la banque centrale a augmenté ses taux à 50 %. Mais les déséquilibres économiques vont encore subsister.
Les Echos, le 29 mars 2024, par Guillaume de Calignon
Une inflation galopante et des taux d’intérêt qui continuent à grimper. A la veille des élections municipales, l’économie turque donne de nouveau des signes inquiétants de surchauffe et donc de déséquilibre.
Les prix à la consommation ont progressé de 67 % sur un an en février et cela fait désormais deux ans et demi que l’inflation n’est pas repassée sous la barre de 30 %. Le pays est désormais le quatrième de la planète à afficher une inflation aussi élevée, derrière l’Argentine, le Venezuela et le Liban. Il vient de dépasser le Zimbabwe.
Taux relevés
Le gouvernement n’avait pas le choix. Il fallait de nouveau serrer la vis. Au 1er mars, des réglementations ont été mises en place pour limiter le recours au crédit bancaire dans le pays . Puis, la semaine dernière, les taux ont été relevés de 500 points de base à 50 % ! C’est une surprise avant les élections. D’autant que la banque centrale a indiqué être prête à aller plus loin pour calmer la demande, endiguer l’inflation et stopper la dévaluation de la lire turque qui a perdu près de 10 % de sa valeur face au dollar sur les trois premiers mois de l’année.
« En prenant la décision d’augmenter les taux mi-mars, la banque centrale a gagné en crédibilité parce qu’elle a montré qu’elle avait la volonté et disposait aussi d’une certaine latitude politique pour faire reculer l’inflation. En fait, on entrevoit le bout du tunnel aujourd’hui, mieux qu’il y a six mois », considère Irina Topa-Serry, économiste chez Axa IM chargé des marchés émergents. Pour elle, l’inflation devrait atteindre son point haut en mai à environ 70 % puis redescendre aux alentours de 45 % à la fin de l’année.
La croissance devrait s’en ressentir, c’est même le but de l’opération : freiner l’activité économique pour venir à bout de l’inflation. Les importations de biens durables ont commencé à baisser il y a six mois et la consommation fait aussi les frais des mesures restrictives de politique monétaire. Le PIB ne devrait progresser que de 2 % cette année, contre 4,5 % l’an dernier, selon Irina Topa-Serry.
Les risques subsistent
Les risques existent toutefois que tout ne se passe pas comme prévu. « Les réserves de changes nettes sont fortement négatives, de 70 milliards de dollars, le déficit de la balance courante atteint près de 4 points de PIB. Donc en cas de crise, la Turquie peut se retrouver dans une situation de « sudden stop », c’est-à-dire où elle serait obligée de réduire drastiquement son train de vie pour éviter un défaut de paiement », met en garde Deniz Unal, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii).
Ensuite, il y a toujours la possibilité que le président Erdogan relance une politique clientéliste, notamment envers les 11 millions d’adhérents que compte son parti, l’AKP. Depuis deux ans, les retraites n’ont pas été autant augmentées que les salaires. Or, « les retraités mais aussi la fonction publique sont pour beaucoup des gens proches de l’AKP, qui vivent de l’argent public. Il sera donc difficile de resserrer la politique budgétaire, ce qui est pourtant nécessaire pour venir à bout de la spirale inflationniste », estime l’économiste.
D’autant que, comme beaucoup de pays émergents, la Turquie a besoin de capitaux étrangers pour se développer. Avec une inflation à de tels niveaux, la confiance des investisseurs est entamée . Mais cela ne s’arrête pas là. « Le retour des investisseurs étrangers n’est pas seulement une question de politique économique. L’absence d’un Etat de droit dans un système où le président est tout-puissant participe aussi à les faire fuir », estime Deniz Unal.