Dans son ouvrage, La Turquie d’Erdogan, « la journaliste Anne Andlauer décrit un pays dirigé depuis vingt ans d’une main de fer par un président Erdogan qui se retrouve fragilisé par la crise économique » rapporte Marc Semo dans Le Monde.
L’invasion de l’Ukraine par les forces russes a eu, parmi nombre d’autres conséquences géopolitiques, celle de rapprocher de nouveau la Turquie des Européens, et notamment de restaurer des liens avec l’OTAN mis à mal ces dernières années par une politique étrangère néocalifale. Les complexes relations d’alliance et de rivalités entre le président turc et son alter ego moscovite ont pris un sérieux coup, montrant au-delà de trop réelles ressemblances, ce qui distingue les deux régimes et les deux autocrates. « La Turquie ne se résume pas à ce que dit, fait ou veut celui qui la dirige », écrit Anne Andlauer soulignant que « tout hyperprésident qu’il soit sa popularité est friable et son assise fragile ».
Même s’il en rêve, celui que l’on surnomme le « nouveau sultan » n’a pas réussi, en vingt ans à la tête de la Turquie, d’abord comme premier ministre puis comme président, à verrouiller aussi efficacement son pouvoir que le « nouveau tsar » le sien. L’opposition de gauche a conquis en 2019 les municipalités de nombreuses grandes villes du pays à commencer par Istanbul et Ankara. La crise économique et l’inflation galopante nourrissent un mécontentement social croissant contre l’AKP (Parti de la justice et du développement) et son chef charismatique qui, selon les sondages, pourrait perdre l’élection de juin 2023, celles du centenaire de la république. Acceptera-t-il le verdict des urnes ? Ce sera le moment de vérité pour un pays qui pourrait, dès lors, basculer dans une totale dictature.
Purges massives
Correspondante notamment de Radio France en Turquie, Anne Andlauer décrit avec finesse les réalités très contradictoires d’un pays sur le fil où les islamistes ont réussi à remettre en cause nombre des conquêtes de la république fondée par Mustapha Kemal (1881-1938) sur les décombres de l’Empire ottoman sans pour autant les annihiler. Porté au pouvoir par une opinion lasse du vieux monde politique, Erdogan incarnait un espoir de réformes et de dynamisme économique pour aller vers l’Union européenne. Cela explique ses victoires électorales successives. Mais, dès 2013, ce pouvoir sans réels contre-pouvoirs a commencé à se durcir et à devenir toujours plus autocratique.
« Les mots ont changé, pas les maux, et “la nouvelle Turquie” que porte désormais Erdogan sonne étrangement comme l’ancienne, arc-boutée sur une conception étroite et rigide de l’identité nationale turque et musulmane sunnite », note Anne Andlauer. Le régime contrôle la quasi-totalité des médias et son emprise s’est encore accrue après le coup d’Etat militaire raté de juillet 2016, considéré par Erdogan comme « un don de Dieu ». Il en profita pour définitivement mettre au pas l’armée, arrêter des dizaines de milliers d’opposants notamment liés au mouvement kurde, et mener des purges massives dans la fonction publique. Mais la société civile résiste et rêve toujours d’Europe.
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Le Monde, 3 février 2022, Marc Semo