« Deniz Yücel avait été « maintenu en détention provisoire en l’absence de raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis une infraction pénale », a fait savoir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) » rapporte Le Monde.
L’affaire avait envenimé les relations entre Berlin et Ankara. La Turquie, qui avait incarcéré en 2017 et 2018 l’ancien correspondant du quotidien allemand Die Welt, Deniz Yücel, a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) mardi 25 janvier. La Cour paneuropéenne a estimé qu’Ankara avait violé son « droit à la liberté et à la sûreté », « son droit à la réparation en cas de détention illégale » et « sa liberté d’expression », explique-t-elle dans un communiqué. La Turquie devra lui verser 13 300 euros de dédommagements.
Le journaliste germano-turc, qui avait couvert pour le journal conservateur allemand la répression généralisée après la tentative de coup d’Etat ratée en Turquie en juillet 2016 contre le président Recep Tayyip Erdogan, « a été mis et maintenu en détention provisoire en l’absence de raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis une infraction pénale », précise la Cour.
« La privation de liberté » du journaliste de 48 ans « s’analyse [comme] une “ingérence” dans l’exercice par ce dernier de son droit à la liberté d’expression », poursuit la Cour paneuropéenne. Celle-ci rappelle « que la mise en détention provisoire des voix critiques crée des effets négatifs multiples, aussi bien pour la personne mise en détention que pour la société tout entière ». Car « infliger une mesure résultant en une privation de liberté (…) produit immanquablement un effet dissuasif sur la liberté d’expression en intimidant la société civile et en réduisant les voix divergentes au silence », a encore relevé le bras judiciaire du Conseil de l’Europe.
Condamné pour « propagande terroriste »
L’arrestation en février 2017 de Deniz Yücel avait soulevé une vague d’indignation et de mobilisation en Allemagne et empoisonné les relations entre Berlin et Ankara, deux pays liés notamment par la présence de trois millions de Turcs en Allemagne.
Finalement libéré en février 2018, Deniz Yücel avait été autorisé à quitter la Turquie pour l’Allemagne, conduisant à un dégel des relations entre les deux pays.
En mai 2019, la Cour constitutionnelle turque avait jugé qu’il avait subi une violation de son droit à la liberté et à la sûreté ainsi que de son droit à la liberté d’expression et de la presse. Mais en juillet 2020, un tribunal d’Istanbul l’a condamné par contumace à deux ans, neuf mois et 22 jours de prison pour « propagande terroriste » pour le compte du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qualifié de groupe « terroriste » par Ankara et ses alliés occidentaux, au terme d’un procès qui avait suscité de nouvelles tensions diplomatiques entre la Turquie et l’Allemagne.
La Turquie figure à la 153e place au classement mondial de la liberté de la presse de l’organisation non gouvernementale Reporters sans frontières.
En novembre, la CEDH avait déjà condamné la Turquie pour la détention provisoire « arbitraire » de 427 magistrats, cinq ans après la purge massive dans l’administration, l’armée et les milieux intellectuels turcs qui avait suivi le coup d’Etat raté.
Le Monde, 25 janvier 2022