Victime de menaces répétées, Ahmed Katie, militant des droits humains, avait mystérieusement disparu fin novembre. Placé en détention, il est depuis accusé “d’espionnage” au service de la France. Un prétexte pour le mettre sur la touche, assurent ses proches.
Courrier International, le 1 mars 2024
“Où est Ahmed Katie ?” se demandait, en novembre dernier, le média turc en ligne Bianet, comme beaucoup d’autres titres de la presse d’opposition le font depuis sa disparition.
Réfugié politique fuyant la guerre en Syrie et la dictature de Bachar El-Assad, Ahmed Katie s’était installé en Turquie en 2014, où il était devenu une des rares voix à oser critiquer les discriminations dont font l’objet les réfugiés syriens.
Le jour même de sa disparition, le 29 novembre, l’activiste avait posté sur Facebook un message mentionnant des pressions et des menaces dont il faisait l’objet et sa décision de “suspendre toutes ses activités médiatiques et en lien avec la défense des droits de l’homme”, rapporte le média en ligne.
Disparition puis accusations “d’espionnage”
Un mois auparavant, il avait été contacté par des hommes se présentant comme des policiers disant être en lien avec le département des réfugiés et ayant le pouvoir de distribuer et de renouveler des titres de séjour. Ahmed Katie avait par la suite refusé de se rendre aux convocations, jusqu’au jour de sa disparition, où il avait averti un collègue d’un rendez-vous auquel il devait se rendre. “Appelle-moi dans une heure, si je ne décroche pas, c’est mauvais signe”, lui avait-il confié.
“Nous avons l’habitude de recevoir des menaces, y compris de la part des autorités, de vivre dans la peur avec nos enfants”, témoignait son épouse auprès du média d’opposition Arti Gerçek.
En dépit de leurs recherches et de leurs demandes auprès des autorités turques, ses proches étaient restés sans nouvelle de lui pendant une quinzaine de jours, avant d’apprendre sa mise en détention pour espionnage.
Selon les dernières “révélations” du quotidien progouvernemental Sabah, l’activiste est désormais accusé d’être un agent des services secrets français “pour lesquels il travaillerait depuis un an, en compagnie de deux autres personnes qui ont aussi été arrêtées”, assure le quotidien.
Il aurait produit de “faux documents visant à accuser la Turquie de mauvais traitements et de torture de migrants”, afin de la “mettre en difficulté sur la scène internationale”, le tout en échange de l’obtention d’un visa pour la France, croit savoir le journal.
Contexte pesant pour les réfugiés
De très nombreuses accusations de renvois illégaux, de mauvais traitements et de meurtres de migrants aux frontières syriennes et iraniennes de la Turquie sont pourtant régulièrement portées, notamment par des associations de défense des droits de l’homme, comme Humans Right Watch.
Inquiet de l’ambiance de plus en plus hostile envers les réfugiés en Turquie, des menaces répétées à son encontre et de l’incapacité dans laquelle il était d’inscrire ses enfants à l’école, Ahmed Katie avait décidé de quitter le pays pour la France, explique son avocat, Halim Yilmaz, à Middle East Eye. Les accusations d’espionnage visant des figures de la société civile et des défenseurs des droits humains se sont multipliées ces dernières années, déplore-t-il.
“Je n’ai pas de doutes sur le fait qu’Ahmed Katie sera finalement relaxé et que ses charges d’espionnage seront abandonnées, mais vu le temps que la justice met à traiter les dossiers, il peut passer des années en prison avant d’être blanchi”, s’inquiète l’avocat, interrogé par le média d’opposition Serbestiyet.