La Suède qui rit et la Suède qui grimace. Au lendemain de l’accord turc à l’adhésion à l’OTAN de ce pays de 10,5 millions d’habitants, annoncé lundi 10 juillet soir, à Vilnius, par Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Alliance, le premier ministre Ulf Kristersson et la plupart des responsables des principaux partis politiques suédois se sont félicités de la nouvelle, après plus d’un an de tractations pénibles et souvent humiliantes pour le royaume scandinave. Article publié dans le Monde du 12 juillet 2023
Côté officiel, l’heure est à la satisfaction. « Je suis très heureux de ce pas important, a déclaré Ulf Kristersson depuis Vilnius après avoir fêté l’accord autour d’une bière avec ses collaborateurs. Même si le champagne attendra jusqu’à ce que l’on soit membre à part entière de l’OTAN. » Magdalena Andersson, cheffe de l’opposition et première ministre sociale-démocrate, qui avait lancé le processus de demande d’adhésion en 2022, s’est également réjouie pour la sécurité de la Suède : « Il est positif que tous les pays nordiques fassent désormais partie de la même union de défense », ce que le ministre suédois de la défense, Pal Jonson, a également souligné, notant que « tout le flanc nord de l’OTAN va se trouver renforcé ».
Mais nombreux sont ceux, aussi, qui se demandent quel sera le prix à payer. Dès 1994, la Suède avait rejoint le Partenariat pour la paix, antichambre de l’Alliance. Elle a participé depuis près de trente ans à ses exercices militaires, et ses procédures et matériels sont déjà largement compatibles avec ceux de l’OTAN. Mais outre l’effacement de deux cents ans de neutralité et de liberté d’alliance, sans le moindre débat, le renoncement à des valeurs fondamentales inquiète, après des mois de soumission aux exigences turques. « La Suède va avoir une nouvelle identité, a ainsi déclaré Pierre Schori, ancien ministre et diplomate social-démocrate qui fut notamment l’un des proches d’Olof Palme, l’ex-premier ministre chantre de la troisième voie entre Est et Ouest. Une identité où nous allons vendre des armes à des pays en guerre et où nous trahissons les combattants de la liberté. »
« Les Turcs ont utilisé la Suède comme un bélier »
Parmi les concessions faites à Ankara, Stockholm a levé l’embargo sur la livraison d’armes à la Turquie en place depuis 2019. Une loi antiterroriste entrée en vigueur le 1er juin a également permis à la Haute Cour de justice suédoise d’autoriser le renvoi d’un homme de 35 ans, condamné pour une affaire de drogue en Turquie – même si lui clame qu’il est mis en cause pour ses sympathies pro-PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan traqué par le régime turc par-delà ses frontières.
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« Les Turcs ont manifestement utilisé la Suède comme un bélier pour obtenir que le PYD [Parti de l’union démocratique, branche syrienne du PKK] et le YPG [branche armée du PYD] soient mentionnés dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, commente Michael Sahlin, ancien ambassadeur suédois en Turquie. La loi est rédigée de telle sorte qu’elle reflète presque entièrement la vision turque du terrorisme.
Les présidents des sections suédoises du PEN Club et de Reporters sans frontières ont également mis en garde contre des discussions sur un autre projet de loi qui aurait pour effet de limiter la liberté d’expression, en réponse aux récents autodafés de Coran en Suède, dont la Turquie s’était offusquée. « Si la Suède prend dès maintenant l’initiative d’interdire de brûler le Coran, l’image d’un Ulf Kristersson agenouillé devant le dirigeant autoritaire turc Recep Tayyip Erdogan restera à jamais gravée dans l’esprit des générations futures », dénonçaient les deux organisations dans une tribune commune parue dans la presse, le 7 juillet.
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Kurdo Baksi, journaliste et commentateur suédo-kurde, qui s’inquiète depuis longtemps de la liste de Kurdes qu’Ankara voulait voir extrader, se dit indigné par l’accord. « Ce qui me fait réagir, c’est le paragraphe qui dit que la Suède va agir activement en faveur de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne [UE]. C’est une comédie ! Un des pays les plus démocratiques et humanistes au monde, connu pour défendre des minorités sexuelles, les droits des femmes, va maintenant aider un des pays au monde les plus homophobes, les plus antiminorités, les plus misogynes ? C’est une atteinte à la réputation internationale de la Suède. »
« Il ne coûte rien aux pays de l’UE de promettre à Erdogan de dégeler les négociations pour permettre un jour à la Turquie d’entrer dans l’UE, tempère, mardi 11 juillet, le quotidien conservateur Svenska Dagbladet dans son éditorial. Ils l’ont déjà fait par le passé. D’un autre côté, le président turc peut maintenant laisser la Suède entrer dans l’OTAN sans perdre la face. »