Pour éviter une dépréciation supplémentaire de la monnaie nationale, la Banque centrale turque a largement puisé, durant la période électorale, dans ses réserves en devises étrangères, désormais à sec. Le risque de l’éclatement d’une crise financière se renforce, s’inquiètent certains médias turcs. Par Courrier International du 24 mai 2023.
Alors que les perspectives d’une défaite de Recep Tayyip Erdogan, d’un retour de l’état de droit et d’une politique monétaire orthodoxe s’éloignent à mesure que s’approche la date du second tour (prévu le 28 mai), de nombreuses interrogations émergent sur l’avenir économique et financier du pays.
Baromètre de la santé financière, la monnaie nationale, déjà fortement dépréciée au cours des deux dernières années, a atteint le lundi 22 mai un plus bas niveau historique face au billet vert (1 dollar pour 20 livres) et à l’euro (1 euro pour 22 livres), rapporte le média en ligne Gazete Duvar. Ces dernières semaines, la livre était pourtant soutenue à bout de bras par la Banque centrale turque, totalement sous contrôle de la présidence de la République.
Pour éviter une dégringolade de la monnaie turque qui pourrait inquiéter les électeurs, les autorités monétaires ont vendu à tour de bras leurs réserves de dollars sur les marchés de change, décrit le quotidien d’opposition Birgün. Dans la semaine qui a précédé le premier tour (tenu le 14 mai), 9 milliards de dollars ont été dépensés à cet effet, s’alarme le journal.
La Russie et les pays du Golfe à la rescousse
Car les réserves en devises étrangères se font rares, malgré le soutien financier de la Russie et des pays du Golfe. Ainsi, les réserves nettes de la Banque centrale ont fondu pour atteindre 2,3 milliards de dollars, un plus bas qui ramène l’institution à son niveau de 2002 [le pays avait été durement touché par une crise économique à la fin des années 1990 et au début des années 2000, qui avait permis l’arrivée au pouvoir de l’AKP], s’inquiète le quotidien Sözcü.
Les craintes au sujet d’un possible éclatement d’une crise financière ont été renforcées par les déclarations du président Erdogan, qui, interrogé le 19 mai sur la chaîne américaine CNN International, a réitéré sa volonté de poursuivre sa politique monétaire de baisse des taux d’intérêt pour lutter contre l’inflation, en contradiction avec les théories économiques dominantes.
“La Banque centrale n’a pas fait que vendre ses réserves de dollars, elle a aussi liquidé ses stocks d’or”, souligne l’économiste Hamza Yardimcioglu auprès de Cumhuriyet.
Dans les mois qui vont suivre le scrutin présidentiel, l’arrivée de millions de vacanciers estivaux pourrait aider au maintien de la livre, mais cela ne sera pas suffisant à plus long terme.
Sans une aide étrangère consistante, l’État pourrait se résoudre à mettre en œuvre des politiques de contrôle des capitaux pour empêcher une panique généralisée.
“Que les gens qui ont des comptes bancaires en dollars se méfient”, prévient l’économiste.
L’infortune des villes
Comment donc le président Erdogan a-t-il pu arriver en tête du premier tour et pourrait être réélu le dimanche 28 mai, en dépit de la crise économique et du cycle inflationniste dans lesquels sa politique monétaire a plongé le pays ? s’interrogent certains médias locaux.
Une des raisons serait que les principales victimes de la crise, de la flambée des loyers et des prix des biens de première nécessité se trouvent en ville, et que la campagne, où le “reis” compte ses soutiens les plus inconditionnels, a été moins touchée, explique la journaliste Çigdem Toker, interviewée par la BBC Türkçe.
Par ailleurs, les ménages les plus démunis sont de longue date habitués à survivre grâce au soutien financier que leur accorde directement le parti islamo-nationaliste de l’AKP ou qui leur est attribué par l’État mais présenté comme venant de l’AKP, précise la journaliste.
La crise économique, en fragilisant ces familles, n’a fait en réalité et paradoxalement que renforcer les réseaux clientélistes et la loyauté envers le pouvoir.