Plusieurs médias d’opposition en Turquie ont applaudi la décision française d’inscrire l’IVG dans la Constitution, s’interrogeant sur le recul de cette liberté, fondamentale pour les femmes, dans leur pays. Mais pour la presse proche du pouvoir, la France a pris “une décision à son image”, décadente.
Courrier International, le 9 mars 2024
Adopté lundi 4 mars à 780 voix pour et 72 contre par le Sénat et l’Assemblée réunis en Congrès, l’inscription de la liberté des femmes de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution française a été longuement relayé par la presse turque.
“Une victoire historique pour les femmes”, titre ainsi le quotidien de gauche Birgün, qui applaudit ce vote qui fait de la France le premier pays à inscrire cette liberté dans sa Constitution. Un vote d’autant plus précieux que le droit à l’avortement est en recul ou en danger dans de nombreux pays, considère le journal, qui cite les exemples des États-Unis, de la Hongrie ou encore de l’Argentine.
Reprenant les résultats d’une enquête Ipsos datant de 2023, le quotidien rappelle que la société française est l’un des pays les plus progressistes en la matière, 82 % des sondés ayant affirmé être en faveur de ce droit, contre 87 % en Suède – le pays le plus favorable à l’IVG – et seulement 48 % en Turquie, où ce droit est pourtant reconnu depuis 1984.
Droit difficile à faire valoir
“Cela fait quarante et un ans que les Turques ont le droit d’avorter, mais nombre d’entre elles ne le font pas […] par pression sociale”, souligne le média en ligne Bianet, qui rebondit sur l’actualité française pour consacrer un article au sujet. “Encore souvent considéré comme un péché, une interdiction, l’avortement, lorsqu’il est souhaité par une femme, est souvent empêché par un homme ou par l’État”, déplore le média.
Qualifié de “massacre” par le président islamo-nationaliste Recep Tayyip Erdogan, qui ne s’est pourtant pas encore risqué à tenter de l’interdire, le droit à l’avortement, reconnu en théorie, est souvent très difficile à mettre en œuvre.
Ces dernières années, l’accès à l’IVG a même reculé dans le pays, s’inquiète le média, citant une étude universitaire selon laquelle de plus en plus d’hôpitaux ou de médecins refusent de le pratiquer, ou facturent différemment selon qu’il s’agit d’une femme mariée ou d’une célibataire, en raison du tabou que constituent les relations sexuelles hors mariage.
“Prétendu pays des libertés”
Pis, concernant les mineures, les lenteurs de la justice peuvent parfois contraindre des jeunes filles victimes d’abus sexuels à mener leur grossesse à terme.
Ainsi, le média en ligne SoL Haber rapportait fin février le cas d’une jeune fille de 16 ans victime d’un viol, qui avait demandé à la justice une autorisation pour procéder à une IVG. Mais la demande, intervenue au cours des dix premières semaines de la grossesse, était restée sans réponse pendant plus d’un mois, rendant finalement un avortement impossible.
Gravement éprouvée psychologiquement, la jeune fille avait porté son cas devant la Cour constitutionnelle, qui vient de lui accorder un dédommagement équivalant à 2 000 euros, rapporte le média.
Pour le média islamiste Yeni Akit, en revanche, la décision française n’est en aucun cas un progrès. “Une erreur historique pour la France, qui prend une décision à son image”, titre le quotidien. “Le prétendu pays des libertés fait encore l’actualité”, dénonce le quotidien, qui considère qu’il s’agit d’une opportunité saisie par le président Emmanuel Macron de “renforcer sa popularité à gauche” et de “museler les opposants à l’avortement”.