Ardent défenseur de la cause palestinienne, le président turc est aussi l’artisan du rapprochement avec l’Etat hébreu.
Il aura fallu trois jours de siège de Gaza par l’armée israélienne et de frappes sur l’enclave palestinienne pour que le président turc Recep Tayyip Erdogan élève la voix et dénonce les « méthodes honteuses » de l’Etat hébreu. « Bombarder des localités civiles, tuer des civils, bloquer l’aide humanitaire et tenter de présenter cela comme des exploits ne peut être que le réflexe d’une organisation et non d’un Etat », a affirmé M. Erdogan, qui utilise d’ordinaire le terme « organisation » pour qualifier le Parti des travailleurs du Kurdistan, classé comme terroriste par Ankara et ses alliés occidentaux. Il a ajouté, devant les élus de son parti, mercredi 11 octobre, à Ankara, qu’« Israël ne devait pas oublier que s’il se conduit comme une organisation plutôt que comme un Etat, il finira par être traité comme tel ».
Le ton est somme toute modéré, compte tenu des sorties auxquelles l’homme fort d’Ankara avait fini par habituer ses interlocuteurs sur la question palestinienne. Comment, en effet, ne pas se souvenir du Recep Tayyip Erdogan accusant son homologue, Benyamin Nétanyahou, et l’Etat hébreu de « conserver en vie l’esprit de Hitler » lors de la guerre de Gaza, en 2014, ou condamnant Israël pour son « terrorisme d’Etat » et un « génocide » quatre ans plus tard ? Et de cette scène marquante, en pleine séance plénière du sommet économique de Davos, en janvier 2009, où l’on a vu le dirigeant turc tancer le président israélien Shimon Pérès, pourtant notoirement proturc et accessoirement prix Nobel de la paix, l’accusant de « savoir très bien tuer les gens » ?
Mais la conjoncture a changé, emportantles colères les plus vives du président turc. Ankara a aujourd’hui grand besoin de ses voisins et en particulier d’Israël. Confronté à un isolement diplomatique croissant et à des difficultés économiques vertigineuses, Recep Tayyip Erdogan a commencé à afficher publiquement sa volonté de rapprochement avec Tel-Aviv à la fin 2020. Après des années de brouilles, d’invectives et de claquements de portes, le président turc, qui n’a eu de cesse de se s’afficher comme un défenseur de la cause palestinienne, s’est engagé dans une politique de la main tendue et, par là même, dans une difficile position d’équilibriste dans la région, un peu comme il tente de le faire, parfois avec succès, en Ukraine.
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Gisement de gaz
Tout en maintenant des liens étroits avec le Hamas, la Turquie a annoncé, à l’été 2022, après plus de dix ans de « gel », un rétablissement complet de ses relations diplomatiques avec Israël et le retour des ambassadeurs dans les deux pays. Quelques semaines auparavant, le président israélien, Isaac Herzog, s’était rendu à Ankara, avant que le ministre des affaires étrangères turc de l’époque, Mevlüt Çavusoglu, n’aille en visite en Israël. Les relations entre les services de renseignement israéliens et turcs s’étaient renforcées à la faveur de révélations de menaces terroristes émanant d’Iran et visant des touristes israéliens en Turquie. Ce geste avait été salué par Yaïr Lapid, alors ministre israélien des affaires étrangères.
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Du côté turc, l’un des arguments avancés par Ankara pour justifier ce rapprochement était justement le fait que la Turquie serait plus à même de faire avancer la cause palestinienne en ayant de bonnes relations avec Israël. Lorsque le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, s’étaient rencontrés, le 26 juillet, à Ankara, au siège du palais présidentiel, la rumeur d’une réunion, fin août, entre Recep Tayyip Erdogan et son homologue israélien dans la capitale turque circulait avec insistance.
Cette première entrevue avec Benyamin Nétanyahou n’aura finalement pas lieu à Ankara, mais à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, le 20 septembre. Les deux hommes, selon un communiqué de la présidence turque, ont parlé de sujets comme « la politique et l’économie, ainsi que la question israélo-palestinienne ». On apprendra par la suite que la discussion portait également sur le potentiel d’exportation et d’acheminement de gaz naturel d’un gisement situé au large de Gaza vers l’Europe, via la Turquie. Ce dossier est suivi de près par l’homme fort d’Ankara, depuis les perturbations de la chaîne d’approvisionnement causées par l’invasion russe de l’Ukraine. Benyamin Nétanyahou avait d’ailleurs déclaré qu’Israël ferait des efforts pour développer ce champ gazier, après dix ans de faux départs, dans le but de stimuler l’économie palestinienne.
Renvoyer Israël et le Hamas dos à dos
A New York, le président turc avait aussi dit soutenir l’initiative prise par les Etats-Unis de négocier un accord israélo-saoudien visant à normaliser les relations entre Israël et l’Arabie saoudite, estimant que cela aiderait à apaiser les tensions dans la région.
Dernière indiscrétion, Recep Tayyip Erdogan aurait émis l’idée, selon la Douzième chaîne israélienne, de vouloir se rendre rapidement en Israël pour aller prier à la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem. Cette prière aurait eu lieu à l’occasion du centième anniversaire de la République turque, fondée le 29 octobre 1923. Un acte symbolique qui permettrait au dirigeant turc de se replacer au cœur de l’arène.
Jeudi, au Parlement d’Ankara, les députés du parti islamiste Hüda Par (Parti de la cause libre), allié de la coalition gouvernementale du chef de l’Etat, ont organisé une conférence de presse avec cinq représentants du Hamas. Les élus ont exigé que le pouvoir prenne « une position claire en faveur de la résistance palestinienne » contre « le régime sioniste qui a déclaré la guerre à la communauté islamique tout entière ». Ensemble, avec deux autres formations islamistes de l’opposition, ils ont appelé à un vaste rassemblement dimanche à Istanbul.