« Les provocations contre Ankara se multiplient en Suède, en réaction au chantage du président Erdogan, qui continue de bloquer l’accession du pays scandinave à l’OTAN » rapporte Anne-Françoise Hivert dans Le Monde du 23 janvier 2023.
Le Coran brûlé devant l’ambassade de Turquie à Stockholm, le drapeau de la Suède incendié en face du consulat du royaume à Istanbul, plusieurs visites officielles annulées… Alors que les autorités suédoises tentent, depuis plus de huit mois, de convaincre le président turc Recep Tayyip Erdogan de ratifier la demande d’adhésion de la Suède à l’OTAN, le temps de la diplomatie semble passé.
En Suède, les appels se multiplient pour défendre la liberté d’expression, face au chantage d’Ankara, quelles que soient les conséquences pour la candidature du pays à l’OTAN. Un changement d’attitude qui s’explique par la conviction, désormais largement répandue, que seuls les Etats-Unis peuvent convaincre M. Erdogan de renoncer à son veto et que la Suède a tout à perdre en continuant à faire des concessions à Ankara.
Samedi 21 janvier, les tensions ont atteint un nouveau point d’orgue, avec l’annonce, en début de journée, de l’annulation de la visite du ministre suédois de la défense, Pal Jonson, en Turquie, le 27 janvier. En cause : le permis de manifester, accordé par la police suédoise, devant l’ambassade de Turquie à Stockholm, à l’extrémiste dano-suédois Rasmus Paludan dont la spécialité est de brûler le Coran en insultant les musulmans.
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Drapeau suédois brûlé à Istanbul
Au printemps 2022, sa venue, orchestrée par l’extrême droite, dans les banlieues suédoises où résident de nombreux immigrés, avait provoqué des émeutes. Pendant la campagne, avant les élections générales du 11 septembre 2022, le parti des Démocrates de Suède (SD) a utilisé des images de véhicules de police en feu pour dénoncer l’absence d’intégration des musulmans.
Selon le journal de gauche Etc, l’autodafé du Coran, samedi 21 janvier, a été organisé avec l’aide du rédacteur en chef du site Nyheter Idag, Chang Frick, proche des SD. Sous haute surveillance policière, la performance de l’extrémiste n’a duré que quelques minutes et s’est déroulée dans le calme, tandis qu’un petit groupe de militants de l’Union des démocrates européens turcs manifestait son soutien à M. Erdogan, non loin de l’ambassade.
Quelques heures plus tard, autour de 500 militants prokurdes et opposants à l’adhésion de la Suède à l’OTAN ont défilé à leur tour dans les rues de Stockholm, piétinant un portrait géant du président turc. Des images qui ont suscité la colère en Turquie et dans plusieurs pays arabes.
A Istanbul, des manifestants ont brûlé le drapeau suédois devant le consulat du pays. « Malgré tous les avertissements, la Suède continue d’autoriser des actes terroristes provocateurs contre la Turquie », a dénoncé Mustafa Sentop, le président du Parlement turc, accusant l’administration suédoise de s’être rendue « complice de crime de haine » en autorisant l’autodafé du Coran.
Critiques sur la défense de la liberté d’expression
« La liberté d’expression est un élément fondamental de la démocratie. Mais ce qui est légal n’est pas forcément approprié. Brûler des livres sacrés pour beaucoup est un acte profondément irrespectueux », a réagi, dans un tweet, le premier ministre suédois, Ulf Kristersson, exprimant « [sa] sympathie à tous les musulmans qui sont offensés par ce qui s’est passé à Stockholm ».
Son ministre des affaires étrangères, Tobias Billström, a dénoncé, pour sa part, « des provocations islamophobes ». « La Suède jouit d’une liberté d’expression étendue, mais cela n’implique pas que le gouvernement suédois ou moi-même soutienne les opinions exprimées », a-t-il précisé.
Visant à calmer les esprits, ces déclarations ont suscité de nouvelles critiques en Suède. Certains rappellent que ni M. Kristersson ni M. Billström ne s’étaient émus de voir le Coran mis à feu dans les banlieues suédoises au printemps 2022, tandis que d’autres leur reprochent de ne pas en faire assez pour défendre la liberté d’expression, et notamment celles des militants prokurdes, qui ont pendu un mannequin à l’effigie de M. Erdogan devant l’hôtel de ville de Stockholm, le 11 janvier.
En réaction, la Turquie avait décidé d’annuler la visite à Ankara, du président du Parlement suédois, Anders Norlen, prévue quelques jours plus tard. Partageant l’outrage de la Turquie, Ulf Kristersson a dénoncé un « acte de sabotage » contre l’adhésion de la Suède à l’OTAN. Mais le 16 janvier, à Stockholm, le procureur Lucas Eriksson a décidé de ne pas ouvrir d’enquête contre les manifestants, jugeant qu’ils n’avaient « rien commis d’illégal ».
De son côté, le patron des SD, Jimmie Akesson, dont la formation fait partie de la majorité libérale conservatrice, n’a pas hésité à qualifier M. Erdogan de « dictateur islamiste ». M. Akesson est déterminé à ne pas perdre la main sur le débat, alors que de nouvelles actions ont déjà été annoncées en Suède au nom de la défense de la liberté d’expression. Opposé à l’OTAN, le magazine socialiste Flamman a lancé un concours de caricatures du président Erdogan, promettant 10 000 couronnes (1 000 euros) au gagnant. Pro-OTAN, le bimestriel Liberal Debatt a annoncé qu’il publierait le meilleur dessin.
Le Monde, 23 janvier 2023, Anne-Françoise Hivert, Photo/Umit Bektas/Reuters