« Plusieurs milliers de personnes se sont réunies, ce mardi, pour rendre hommage aux victimes de la rue d’Enghien, tués dans une fusillade à caractère raciste » dit Alice Pairo Vasseur dans Le Point du 3 janvier 2023.
La foule est compacte, murée dans le silence et les drapeaux du PKK (Parti travailleur du Kurdistan) dressés vers le ciel. « Şehîd Namirin » (« Les martyrs sont immortels ! ») tonne un membre du rassemblement, repris d’une même voix par l’ensemble de ses pairs. L’arrivée des cercueils ceints des couleurs kurdes, sous une haie d’honneur, suscite une émotion visible. Réunis ce mardi 3 janvier, à Villiers-le-Bel (Val-d’Oise), plusieurs milliers de membres de la communauté kurde se sont réunis pour rendre hommage aux trois victimes de la rue d’Enghien, tuées dans une attaque survenue le 23 décembre dernier, à Paris.
Un « dernier adieu » solennel adressé – avant le rapatriement de leurs corps dans la nuit – à Emine Kara, responsable du Mouvement des femmes kurdes en France(plus connue sous le nom de guerre d’Evîn Goyî) et héroïne de la cause kurde, Miran Perwer, chanteur ayant fui la Turquie où il était poursuivi pour ses activités politiques et Abdulrahman Kizil, citoyen kurde.
« Le Val-d’Oise avait le double avantage d’être suffisamment loin de Paris (des heurts y ayant éclaté en marge de la manifestation organisée au lendemain de l’attaque, NDLR) et de pouvoir réunir notre communauté (environ 20 000 Kurdes résident à Villiers-le-Bel) », confie d’abord au Point Agit Pola, porte-parole du CDK-F (Conseil démocratique kurde de France) à l’origine de cette cérémonie, organisée dans une vaste salle de réception du 95.
Car « cet événement, ajoute-t-il, sobrement, est voué au recueillement… » Un vœu pieux alors que la théorie d’un acte raciste isolé, sans lien avec la Turquie – aucun élément de l’enquête ne permettant pour l’heure de l’impliquer – demeure inaudible pour la communauté kurde. « Le monde entier doit savoir ce que chacun de nos martyrs représentait pour notre liberté ! Nous ne demandons qu’une chose : la justice », exprime ainsi, très tôt, Zubede Zumrut, activiste et journaliste kurde.
L’ombre de la Turquie
« Notre ennemi est un ennemi sauvage qui vise en premier lieu la femme kurde, cauchemar de son système… », ajoute, sans ambages, la figure des médias, en référence à Evîn Goyî. Un préambule puissant, donnant le ton à une cérémonie au caractère hautement politique. Et sur laquelle planera, de bout en bout, l’ombre de la Turquie. « Ils peuvent nous attaquer, nous assassiner. Nous avons mal, nous souffrons, mais nous ne baisserons ni les yeux ni ne nous mettrons à genoux », exprimera, en d’autres termes, la nièce de la victime.
« Nous avons été frappés en plein cœur, alors que se préparaient les commémorations des dix ans de l’attaque de janvier 2013 (un premier triple assassinat de membres de la communauté kurde, à Paris)… », rappellera quant à elle Besime Gonja, représentante du mouvement des femmes kurdes d’Europe, qui voit dans ce calendrier – comme nombre d’intervenants – le signe d’une attaque planifiée.
Dans la foule aussi, colère et peine s’entremêlent. « Nous avons été visés », assure Umit, 27 ans, posté devant les écrans géants disposés à l’extérieur et retransmettant l’événement. Lui est venu de Gonesse, commune limitrophe, « pour les familles des victimes et l’ensemble de la communauté kurde ». Et d’insister froidement : « Nous voulons que la France fasse la lumière sur ce qu’il s’est passé. »
Une cérémonie de près de deux heures – entre poèmes révolutionnaires, appels à la justice et hommages vibrants. Et un épilogue bouleversant. C’est la voix de la défunte Evîn Goyî qui, cette fois, résonne dans la salle et ses abords. On y entend la figure de la cause kurde, enregistrée lors d’un hommage rendu, dans le passé, à ses pairs. Dans sa langue natale, elle conclut en ces mots : « Les martyrs sont la lumière qui guide nos pas… »
Le Point, 3 janvier 2023, Alice Pairo-Vasseur, Photo/Bertrand GUAY/AFP