Après quatre années de restauration, l’emblématique église byzantine a été transformée, le 6 mai, en mosquée, en raison de l’application d’un décret du président Recep Tayyip Erdogan. Une reconversion que l’opposition au pouvoir islamo-nationaliste juge populiste.
Courrier International, le 8 mai 2024
Quatre ans après la reconversion de l’ex-basilique Sainte-Sophie en mosquée, c’est au tour de Saint-Sauveur-in-Chora, – appelée “Kariye” en turc –, la seconde église byzantine emblématique d’Istanbul, d’être transformée en lieu de culte musulman.
Construite au Ve siècle, cette église, qui sort de quatre ans de travaux de rénovation, est connue pour la finesse et la richesse de ses fresques et mosaïques. Après la conquête de la ville en 1453 par les Ottomans, elle fut transformée en mosquée, rappelle le média en ligne Kisa Dalga, qui souligne également que l’édifice, qui a su résister à de nombreux séismes, est l’un des plus anciens de la ville.
Tout comme Sainte-Sophie, Saint-Sauveur-in-Chora avait été transformée en musée en 1948, avant d’être à nouveau convertie en mosquée après la signature, en 2020, d’un décret du président islamo-nationaliste Recep Tayyip Erdogan.
“Soixante-dix-neuf ans de solitude”
Le président turc, qui devait être présent à l’inauguration lundi 6 mai, a été retenu à Ankara et a dû se contenter d’un discours en vidéo transmis du palais présidentiel. Allocution portant essentiellement sur la guerre à Gaza et sur la défaite de son parti lors des récentes élections municipales.
La réouverture du lieu en mosquée a été accueillie par un tonnerre d’applaudissements venant de la presse progouvernementale : “La fin de soixante-dix-neuf ans de solitude”, titre un article du quotidien Yeni Safak. “La mosquée Kariye retrouve la communauté des fidèles”, abonde Yeni Akit.
Le quotidien Sabah, lui, s’est rendu sur place pour interroger des fidèles. “Cela faisait des années que nous demandions sa transformation en mosquée, j’aurais aimé que mon père puisse assister à ce moment”, témoigne Orhan Büyükyildiz, un habitant du quartier. “C’est un lieu aussi important que Sainte-Sophie, je suis ravi de pouvoir faire partie de cette communauté de fidèles”, se félicite également Erman Güven, fonctionnaire à la retraite.
Le ministère des Affaires étrangères grec, de son côté, a condamné la conversion du lieu dans un communiqué, rapporte le média en ligne T24. “Rabaisser et modifier la fonction d’un lieu classé au patrimoine mondial de l’Unesco est une provocation envers la communauté internationale”, s’est indigné le ministère.
Une décision critiquée
La version turque de la Deutsche Welle, elle, interroge Zeynep Ahunbay, célèbre archéologue inquiète que la conversion en lieu de culte ne puisse entraîner des dégâts sur les célèbres mosaïques datant du XIVe siècle.
“Il y a une mosquée à 750 mètres, une autre à 600 mètres, une à 450 mètres et une à 300 mètres”, énumère de son côté le théologien musulman populaire et opposant Ihsan Eliaçik. “Ces transformations d’églises en mosquées, comme cela a été le cas auparavant avant avec Sainte-Sophie, s’inscrivent dans le cadre de la politique du gouvernement mais ne répondent à aucun besoin réel pour les pratiquants”, critique-t-il.
Le média en ligne d’opposition Sol Haber déplore lui aussi cette reconversion, en citant l’exemple de Sainte-Sophie, dont la reconversion a valu à l’édifice de subir de nombreuses dégradations en raison de l’afflux de croyants et de touristes. Afin de réduire le nombre de visiteurs et de se garantir un revenu – dont la transformation en mosquée l’avait privé –, l’État turc a annoncé que, depuis le mois de janvier, le premier niveau de l’édifice était désormais uniquement réservé aux fidèles musulmans, tandis que les touristes pouvaient, eux, accéder uniquement au premier étage, moyennant un billet à 25 euros.