« Sur une proposition du président russe, Erdogan est en passe de lancer le projet visant à faire de la Turquie un “hub” gazier. La presse progouvernementale applaudit cette initiative, qui placerait le pays au cœur de la géopolitique énergétique. D’autres voix doutent de sa faisabilité et s’inquiètent de la coopération croissante entre Ankara et Moscou » rapporte Courrier International du 19 octobre 2022.
Ils devaient proposer un “plan de négociations de paix” pour l’Ukraine, mais la réunion d’Astana du 13 octobre entre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et son homologue russe, Vladimir Poutine, n’a débouché que sur une seule annonce : la proposition, faite par le président russe, de faire de la Turquie un “hub” gazier qui servirait de point de connexion pour acheminer le gaz russe vers d’autres pays, et en particulier à destination de l’Europe.
Ce projet survient alors qu’il existe déjà en Turquie deux gazoducs russes : le Blue Stream, construit en 2003, et le Turkish Stream, achevé en 2019. Il vise à renforcer le réseau de pipelines transitant par la Turquie et, potentiellement, à remplacer les gazoducs Nord Stream 1 et 2, rendus inopérants après un sabotage présumé en mer Baltique à la fin du mois de septembre.
Signe que ce réseau d’alimentation est à destination des Européens, les travaux devraient avoir lieu en Thrace, dans la région frontalière de la Grèce et de la Bulgarie, a affirmé le président turc, dont le quotidien écologiste Yesil Gazete rapporte les propos.
La presse pro-Erdogan dithyrambique
“La Turquie devient le centre de transition du gaz pour l’Europe”, se réjouit le quotidien progouvernemental Sabah. Pour ce journal, ce projet renforcerait considérablement l’importance de la Turquie dans la géopolitique de l’énergie. Un projet à mettre sur le compte du brio diplomatique d’Erdogan, ajoute-t-il. “La Turquie est déjà devenue le centre des négociations pour résoudre la crise alimentaire [avec l’accord en août à Istanbul qui a permis d’organiser l’exportation de céréales et d’engrais russe et ukrainien par la mer Noire et le Bosphore].”
“Désormais c’est au tour de l’énergie. La Turquie d’Erdogan est en train de grandir sur la scène mondiale, n’en déplaise aux Européens.”
“Poutine a aussi besoin d’Erdogan”
De leur côté, les médias d’opposition s’interrogent sur l’opportunité d’un tel hub alors même que les Européens annoncent vouloir se passer, à l’avenir, du gaz russe.
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Ils s’inquiètent également de cette politique d’“équilibre” voulue par Erdogan entre la Russie et l’Occident, comme l’écrit une éditorialiste du média en ligne Muhalif : “L’idée de devenir le principal terminal énergétique de l’Europe peut sembler agréable, mais le comportement de la Turquie, qui refuse d’appliquer les sanctions contre Moscou et applaudit les propositions de Poutine, risque d’être perçu comme un virage d’Ankara vers l’Est et pourrait lui valoir des sanctions.”
De son côté, souligne le média en ligne Gazete Duvar, Poutine cultive ses bonnes relations avec le président turc, en qui il voit un partenaire important et un intermédiaire précieux pour d’éventuelles négociations avec l’Ukraine ou l’Occident : “Poutine a aussi besoin d’Erdogan, sans oublier l’importance géographique de la Turquie. Comme par hasard, alors que le Congrès américain vient d’assouplir ses conditions pour la vente d’avions F-16 [réclamés de longue date par Ankara, qui veut moderniser sa flotte face à la Grèce], voilà que Poutine propose la création d’un hub gazier en Turquie.”
Courrier International, 19 octobre 2022, Photo/Dmitry Feoktistov/TASS/Sipa USA/Sipa