Depuis le tragique bombardement d’un camp de déplacés à Rafah, l’offensive terrestre se poursuit malgré les protestations internationales. Nos correspondants en Égypte et en Turquie décrivent les dernières réactions des dirigeants de ces deux pays.
France Info, le 31 mai 2024, par Marie-Pierre Vérot et Édouard Dropsy
Les bombardements meurtriers israéliens de dimanche 26 mai 2024 contre un camp de déplacés à Rafah ont fait au moins 45 morts et 249 blessés, d’après les autorités locales. Depuis, Israël plaide l’erreur tragique, mais cette attaque a rendu Le Caire furieux. Au cœur des négociations depuis le 7 octobre 2023, l’Égypte tente tant bien que mal de faire entendre sa voix pour une solution à deux États. Pris entre ses accords commerciaux et la colère de la rue, le gouvernement d’al-Sissi tente de jouer sur les deux tableaux.
De son côté, la Turquie, qui a rompu toute relation commerciale avec Israël depuis un mois, a les mains libres pour condamner totalement l’État hébreu, ainsi que les pays occidentaux et les pays arabes qui restent inactifs. Recep Tayyip Erdogan a fustigé un Premier ministre israélien « génocidaire », qualifiant son État d’une « menace pour l’humanité », et a vanté les mérites du Hamas.
En Égypte, une condamnation en surface
Le Caire a réagi très vivement après cette attaque à sa frontière. Dans un communiqué datant du 27 mai, au lendemain de l’attaque, le ministère égyptien des Affaires étrangères a fustigé « le bombardement délibéré des tentes des personnes déplacées par l’armée israélienne à Rafah et qui a fait des centaines de morts ». Bien que les chiffres officiels du Hamas soient à l’heure actuelle de 45 morts, l’Égypte entend ici condamner, du moins en surface, cette attaque qui s’est jouée à sa frontière, notamment en soulignant son caractère intentionnel.
Les relations avec Israël sont importantes pour l’Égypte, pays en pleine crise énergétique, notamment pour ses importations de gaz israélien. Il est donc important pour le raïs Abdel Fattah al-Sissi de ne pas froisser son partenaire israélien. Mais, il doit également contenter sa population, profondément pro palestinienne. Dans cette communication du « en même temps », l’Égypte risque de devenir inaudible alors qu’une guerre meurtrière se joue à sa frontière.
Zone neutre investie par Tsahal « pour détruire des tunnels »
Depuis mercredi 29 mai 2024, l’armée israélienne clame haut et fort être entrée sur la bande longue de 14 km entre la bande de Gaza et l’Égypte, qui sert de zone tampon entre les deux pays. Pour détruire les tunnels du Hamas, Israël a décidé de réinvestir cette ligne à la frontière, ce « no man’s land » neutre depuis 2005, sans que Le Caire ne réagisse. L’Égypte a démenti la présence de tunnels et avait annoncé, en février, que si l’armée israélienne tentait d’occuper ce corridor sous contrôle égyptien, il s’agirait d’une ligne rouge franchie par l’État hébreu.
Israël a franchi cette ligne rouge et l’Égypte n’a rien dit. Comme elle ne s’est pas insurgée contre la mort de deux de ses soldats, en début de semaine, à la frontière avec Gaza. Selon le ministère des Armées, une enquête est en cours, comme cela avait été le cas en octobre 2023 lorsque des tirs dits « amis » avaient tué plusieurs gardes-frontières égyptiens. Aucune conclusion de l’enquête n’a pour le moment été rendue publique par les autorités égyptiennes.
En Turquie, le président Erdogan exhorte à la guerre
Le bombardement par Israël du camp de réfugiés à Rafah ranime aussi la colère du président turc. Il dénonce de nouveau l’inaction des pays occidentaux mais s’en prend également aux pays arabes. Recep Tayyip Erdogan appelle les pays musulmans à protéger leurs frères palestiniens. Il a laissé éclater son indignation, dans une diatribe sans concession devant les députés de son parti, qui lui a valu de longs applaudissements : « J’ai ici quelques mots à dire au monde islamique. Qu’attendez-vous pour prendre une décision commune ? Que vous faut-il de plus pour réagir ? Dans les rues de Gaza, des chiens mangent des restes humains. Des enfants musulmans sont massacrés dans les hôpitaux, des bébés ont la tête arrachée. Des gens sont brûlés vifs dans des tentes. Quand vous déciderez-vous à voir cela ? Quand l’Organisation de la coopération islamique mènera-t-elle une politique efficace et dissuasive contre ces atrocités ? Je le jure, Allah vous demandera, à vous et à nous tous, de rendre des comptes à ce sujet. »
La Turquie reproche aux pays arabes et musulmans de ne pas s’être joints à la plainte pour génocide portée par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice. Le président turc a aussi mis en garde les pays de la région contre la menace que représente Israël « pour la sécurité de l’humanité », ajoutant qu’aucun pays, Turquie incluse « n’est à l’abri ».
Préparer le rôle de la Turquie pour reconstruire Gaza
Le président turc se veut fer de lance de l’opposition à l’État hébreu. Il sait que c’est un discours populaire en son pays. Très vite, après l’attaque contre l’hôpital Al-Shifa, Recep Tayyip Erdogan a durci son discours contre le Premier ministre Nétanyahou, le qualifiant de « génocidaire », de « criminel contre l’humanité » et vantant les mérites du Hamas, avec lequel la Turquie entretient de bonnes relations.
Recep Tayyip Erdogan, dans ce discours très véhément, tonne aussi bien sûr de nouveau contre les pays occidentaux. Il les accuse d’avoir sur les mains « le même sang qu’Israël », et contre les Nations unies dont « l’esprit a sombré avec l’humanité à Gaza », dit-il. Le président Erdogan distribue de bons et mauvais points, bons points à l’Espagne, l’Irlande et la Norvège pour leur reconnaissance de l’État de Palestine. Il entend affirmer la place de la Turquie dans la région, au niveau diplomatique et économique. Si le président turc s’est disqualifié pour être un médiateur entre les deux parties, il se place comme le porte-drapeau des Palestiniens, afin de jouer un rôle dans l’après-guerre, notamment dans la reconstruction de Gaza.