Les forces ukrainiennes multiplient les attaques contre la flotte russe, privilégiée par Moscou pour transporter du matériel d’armement depuis que le pont de Kertch, reliant la Russie à la Crimée, a été fragilisé par deux attaques.
Le 3 janvier 2024, Marie Jégo, Le Monde.
Volodymyr Zelensky en a la certitude : la Crimée et la mer Noire « vont devenir le nouveau centre de gravité de la guerre », affirme le président ukrainien dans un entretien publié par l’hebdomadaire britannique The Economist, lundi 1er janvier. Isoler la presqu’île ukrainienne annexée par la Russie en 2014, dégrader les capacités militaires de l’armée et de la flotte russes sur place font ainsi partie des objectifs que Kiev s’est fixés pour l’année 2024. « C’est la voie à suivre si nous voulons réduire le nombre d’attaques lancées depuis cette région », explique M. Zelensky.
L’Ukraine a déjà marqué des points dans le bassin pontique et sur la péninsule stratégique, en parvenant à détruire, depuis le début de l’invasion russe, le 24 février 2022, une vingtaine de navires de la flotte de la mer Noire, dont un sous-marin, un vaisseau amiral, ainsi que des navires de débarquement.
Des dommages ont été infligés aux diverses installations russes, à Sébastopol, Novorossiïsk, Feodossia, trois villes portuaires importantes de la mer Noire. Perdre les bases navales que la Russie détient depuis plus de deux cents ans dans la péninsule serait un échec patent pour Vladimir Poutine, qui a annexé la presqu’île pour la garder dans le giron russe. Or, lentement mais sûrement, les forces ukrainiennes s’attachent à réduire la puissance de feu de leur adversaire en mer Noire.
Explosion spectaculaire
« Aucun port de Crimée n’est plus sûr pour les navires de guerre russes », a déclaré, mardi 26 décembre 2023, à l’agence Bloomberg, Rouslan Poukhov, directeur du Centre d’analyse des stratégies et des technologies de Moscou, un centre de réflexion pro-Kremlin. L’Ukraine a « tout bonnement expulsé la flotte de Crimée », conclut l’expert.
La dernière attaque ukrainienne, survenue dans la nuit du 26 décembre, a détruit un grand navire de débarquement russe, le Novotcherkassk, dans le port de Feodossia, lequel abrite une importante base russe, à l’est de la Crimée. Soixante-dix-sept marins se trouvaient à bord, dont 74 ont été tués par la frappe, effectuée vraisemblablement par un ou plusieurs chasseurs Soukhoï ukrainiens porteurs de missiles de croisière Storm Shadow ou Scalp.
Les images diffusées en boucle sur les réseaux sociaux montrent une explosion de grande ampleur. Ce caractère spectaculaire s’explique par le fait que le navire a été touché au moment où il était à quai afin de décharger les caisses de drones iraniens de type Shahed et les missiles qu’il transportait. La chaîne Telegram militaire prorusse Rybar, qui compte 1,2 million d’abonnés, a pointé du doigt la « négligence » du commandement de la flotte russe.
En septembre 2023, les forces de Kiev avaient tiré des missiles de croisière sur le quartier général de la flotte de la mer Noire à Sébastopol, en Crimée, causant d’importants dégâts et incitant la Russie à déplacer ses navires vers d’autres ports, notamment vers Feodossia, doté d’un centre de recherche naval ainsi que d’une base. Après l’attaque contre le Novotcherkassk, sa marine va devoir se replier essentiellement sur Novorossiïsk, le grand port russe sur la côte orientale de la mer Noire.
Malgré son éloignement des rives ukrainiennes, cette base navale n’est guère à l’abri des attaques. En août 2023, des drones navals ukrainiens y avaient détruit un navire russe de débarquement. Quant au projet caressé par Moscou de construire une autre base plus au sud, le long de la côte de la mer Noire, dans la région séparatiste géorgienne d’Abkhazie soutenue par le Kremlin, il devrait prendre plusieurs années.
« Poutine est un animal »
Feodossia demeure une base navale primordiale pour l’armée russe. C’est dans ce port que s’organise le ravitaillement en armes et en munitions des forces de Moscou déployées sur le front sud. Le pont de Kertch, qui relie, depuis son inauguration en 2018 par Vladimir Poutine, la Crimée à la Russie, ayant été endommagé lors des précédentes attaques ukrainiennes, en octobre 2022 puis en juillet 2023, Moscou a dû chercher d’autres moyens pour approvisionner son armée en Ukraine par la péninsule. La voie maritime reste donc privilégiée, les navires permettant de transporter jusqu’à 500 tonnes de matériel rapidement et avec moins de risques qu’en empruntant la voie ferrée du pont.
Une nouvelle attaque n’est pourtant pas à exclure. « La Russie doit savoir que le pont de Kertch est un objectif militaire pour nous », a rappelé M. Zelensky dans son interview, suggérant à l’Allemagne de lui livrer, dans cette perspective, des missiles de croisière Taurus.
Pour l’heure, Kiev peut se vanter d’avoir repoussé la flotte russe de la partie occidentale de la mer Noire, où elle n’opère plus, de crainte de voir ses navires attaqués. Une absence qui lui a permis de briser le blocus imposé par Moscou et d’exporter 10 millions de tonnes de denrées agricoles.
Mais, plus que jamais, les forces ukrainiennes comptent sur l’aide militaire occidentale, a tenu à rappeler M. Zelensky. Si l’Ukraine perd, l’Europe se retrouvera en première ligne, a-t-il souligné : « Poutine ressent la faiblesse comme un animal, parce qu’il est un animal. Il sent le sang, il sent sa force. Et il vous mangera pour le dîner, avec votre Union européenne, votre OTAN, votre liberté et votre démocratie. »