« Si les Turcs sont nombreux à soutenir les Ukrainiens, l’opinion publique et la presse locale, toutes tendances confondues, sont toutefois très critiques envers l’Otan et l’Occident, qu’ils considèrent à l’origine de la guerre actuelle » dit Courrier International.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, la quasi-totalité de la presse turque, y compris d’opposition, applaudit la “politique d’équilibre” du gouvernement visant à se poser en médiateur, à prendre garde à ne pas mécontenter Moscou et à condamner l’invasion tout en refusant de rejoindre les sanctions contre la Russie. Les médias, toutes tendances confondues, sont aussi assez unanimes à condamner l’Otan, l’accusant d’être à l’origine de cette guerre.
La presse turque de gauche, à l’image du journal Birgün, critique ainsi sans ambages l’Otan et les États-Unis, notamment à cause du douloureux souvenir de la guerre froide, du soutien américain aux islamistes et à l’extrême droite turque face à l’extrême gauche lors de la décennie de guerre civile (1970-1980), ainsi que lors du coup d’état militaire de 1980 et de la sanglante répression qui s’était ensuivie.
“Henry Kissinger le disait déjà en 1968 : il est peut-être dangereux d’être un ennemi des États-Unis, mais être leur ami est mortel. C’est une leçon que l’Ukraine est en train d’apprendre à ses dépens”, considère ainsi un éditorialiste du quotidien.
“Ce conflit est faussement présenté par l’Occident comme un combat de la démocratie contre l’autocratie, mais dans le même temps cet Occident qui se veut le chantre des libertés censure les artistes russes et bannit les sportifs des compétitions”, critique le journal.
Selon Birgün, cette guerre aurait pu être évitée si l’Otan avait pris en compte les demandes de la Russie qui craignait pour sa sécurité en voyant son voisin ukrainien se rapprocher de l’Alliance.
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L’Otan responsable de la guerre
Un discours partagé par une part importante de l’opinion. Car si les Turcs se disent majoritairement plutôt du côté de l’Ukraine, ils considèrent à 48,3 % que c’est l’Otan qui, par sa politique d’élargissement, est responsable du conflit, alors qu’ils ne sont que 33,7 % à pointer la Russie du doigt, selon un sondage de l’institut MetroPoll, cité par le média en ligne Diken.
Le courant eurasiste, que l’on retrouve à la fois dans le camp d’Erdogan et dans celui de l’opposition, et qui considère que la Turquie devrait rompre avec l’Occident pour se rapprocher de la Russie et de la Chine, n’est évidemment pas en reste.
Le quotidien Aydinlik, fervent soutien de Moscou et de Pékin, n’y va pas par quatre chemins :
“Les impérialistes américains et européens ont attaqué la Serbie, puis ont envahi l’Afghanistan, l’Irak, la Libye et la Syrie, ils ont armé les terroristes sur notre sol pour tenter de le diviser sur des bases ethniques [référence faite à la guérilla kurde]. En violation de toutes leurs promesses antérieures ils ont poursuivi une politique d’encerclement de la Russie […], mais cet ordre mondial américano-européen est désormais terminé.”
Quant à la presse islamo-nationaliste proche du gouvernement, elle se saisit de l’occasion pour appeler la Turquie à faire cavalier seul. Ainsi assène un éditorialiste du quotidien Yeni Akit :
“Je suis derrière le peuple ukrainien mais, malheureusement, derrière l’Ukraine je vois la main de l’Occident colonisateur et massacreur.”
Et d’ajouter : “Heureusement, comme nous ne sommes pas membres de l’Union européenne, nous ne sommes pas tenus d’appliquer leurs sanctions contre la Russie. […] Jusqu’à présent notre président garde d’excellentes relations avec Poutine comme avec Zelensky, la Turquie doit garder ce cap dans cette nouvelle guerre froide entre l’Est et l’Ouest.”
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Courrier International, 5 avril 2022, Photo/TASS/ABACA/Sergei Karpukhin