« Le G7, l’Otan et l’Union européenne se sont chacun réunis jeudi afin de renforcer leur soutien à l’Ukraine face à la Russie. Les Occidentaux ont promis plus d’armes et de sanctions économiques, tout en essayant d’éviter un casus belli » rapporte Jean Quatremer dans Libération.
Jamais depuis la fin de la guerre froide, l’Occident, au sens le plus large, n’a été aussi uni. Les trois sommets organisés jeudi à Bruxelles, d’abord celui de l’Otan (30 membres dont la Turquie), puis du G7 (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni) et enfin de l’Union européenne, auquel le président américain Joe Biden a été convié, ont constitué autant de signaux de la ferme détermination occidentale à soutenir l’Ukraine et à faire plier la Russie. Le statut d’Etat paria de cette dernière se renforce jour après jour, comme en témoigne la résolution de l’ONU adoptée, jeudi aussi, par 140 pays sur 193 (la Russie, la Syrie et la Corée du Nord ayant sans surprise voté contre) lui enjoignant de mettre fin immédiatement au conflit. «Le choix du président Poutine d’attaquer l’Ukraine est une erreur stratégique, lourde de conséquences également pour la Russie et pour le peuple russe», a proclamé l’Otan dans son communiqué final.
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Les Occidentaux savent néanmoins qu’ils sont sur une délicate ligne de crête : ils veulent «arrêter la guerre sans faire la guerre» et «prévenir les scénarios d’escalade tout en s’y préparant», a résumé Emmanuel Macron. Concrètement, cela signifie que les sanctions économiques vont encore se durcir (notamment en empêchant la Banque centrale russe de vendre ses stocks d’or) et les livraisons d’armes à l’Ukraine vont se poursuivre (même des pays neutres comme la Finlande et la Suède augmentent les envois de matériel). Le secrétaire général de l’organisation atlantique, le Norvégien Jens Stoltenberg, a d’ailleurs souligné«l’importance vitale de fournir davantage d’assistance militaire» à l’Ukraine, comme l’a à nouveau demandé par visioconférence son président Volodymyr Zelensky face aux chefs d’Etat et de gouvernement de l’Alliance. Mais il n’est pas question de «livrer des avions ou des chars, car cela caractériserait une cobelligérance», a estimé Emmanuel Macron.
«Préventives, proportionnées et non constitutives»
De même, l’Otan, de plus en plus inquiète de la possibilité d’emploi d’armes chimiques, biologiques ou nucléaires, va fournir à l’Ukraine des «équipements de détection, de protection et de soutien médical, ainsi que de formation à la contamination et à la gestion des crises», a précisé Jens Stoltenberg. Parallèlement, a-t-il poursuivi, «nous améliorons l’état de préparation des forces alliées. Le commandant suprême des forces militaires de l’Alliance, le général Walters, a activé les éléments de défense chimique, biologique, radiologique et nucléaire de l’Otan». En outre, quatre nouveaux groupements seront envoyés en Roumanie, en Hongrie, en Bulgarie et en Slovaquie et les quatre déjà constitués en Pologne et dans les trois pays baltes seront renforcés. Actuellement, a rappelé Stoltenberg, plus de 100 000 militaires américains sont présents en Europe et plus de 40 000 soldats sont sous commandement direct de l’Otan dans la partie orientale de l’Alliance : «c’est du jamais vu» et cela montre à quel point la tension grimpe rapidement, même si l’Organisation affirme que «les mesures que nous prenons demeurent préventives, proportionnées et non constitutives d’une escalade».
D’ailleurs, en dépit des inquiétudes occidentales sur l’emploi d’armes non conventionnelles, il n’a pas été question de fixer de «lignes rouges» : «Il faut être prudent», a expliqué Emmanuel Macron qui n’a pas oublié le recul américain en Syrie lorsque le régime a utilisé des gaz de combat, car «il faut que cela soit suivi d’effets». Le président américain, Joe Biden, est allé plus loin en promettant une «réponse» en cas de recours à l’arme chimique.
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En revanche, les dirigeants russes et bélarusses ne doivent pas se faire d’illusions sur ce qui les attend après la guerre : tant l’Otan que le G7 affirment leur détermination à ce que «les responsables de violations du droit international et du droit humanitaire, et notamment de crimes de guerre, répondent de leurs actes». Et la guerre en Bosnie a montré que la communauté internationale pouvait avoir la mémoire longue.
Eviter une crise énergétique et alimentaire
La Turquie, qui a mené une politique particulièrement agressive ces dernières années au Moyen-Orient et en Méditerranée orientale, a retrouvé, au cours de cette journée, toute sa place parmi les Occidentaux en s’alignant sur la ligne dure à l’égard de la Russie, Emmanuel Macron rendant même un hommage remarqué au président Recep Tayyip Erdogan.
Les Occidentaux ont aussi réaffirmé leur solidarité à la fois pour que l’accueil des millions de réfugiés ukrainiens ne repose pas uniquement sur quelques pays, mais aussi pour éviter une crise énergétique et alimentaire, le coût des sanctions n’étant pas les mêmes pour les Européens, l’Amérique du Nord et le Japon. Une solidarité qui s’étend à l’Afrique et au Moyen-Orient, menacés d’une «crise alimentaire sans précédent», selon les mots d’Emmanuel Macron. Il a proposé un plan de sécurité alimentaire des pays les plus vulnérables sur le modèle de l’initiative Covax, qui a fourni des vaccins aux pays les plus pauvres. La Russie, pourvoyeuse de famine, voilà qui ne va pas arranger son image dans la région.
Libération, 24 mars 2022, Jean Quatremer