« Pour la plupart Afghans ou Syriens, ces réfugiés se retrouvent piégés au milieu d’une lutte entre les deux pays, qui s’accusent mutuellement de barbarie et de mensonge » rapporte Courrier International du 17 octobre 2022.
Quatre-vingt-douze migrants ont été retrouvés nus, et pour certains blessés, le vendredi 14 octobre, après avoir été forcés à traverser la rivière Évros depuis la Turquie vers la Grèce. Les autorités grecques ont déclaré dimanche que ces hommes avaient été transportés au-delà de la frontière par trois véhicules de l’armée turque, et qu’ils avaient immédiatement reçu des vêtements, de la nourriture et les premiers soins.
“Les photos publiées ont choqué à la fois les autorités et le public grec”, s’émeut le site d’information Greek Reporter, qui voit là un “spectacle inhumain sur le traitement des réfugiés par la Turquie”. On aperçoit sur ces photos des hommes jeunes, principalement afghans en plus de quelques Syriens, avançant dénudés dans des fourrés, à la queue leu leu, avant de s’asseoir dans l’herbe. Il s’agit indéniablement, selon Greek Reporter, d’“un acte de provocation” de la part de la Turquie.
“C’est une image inhumaine, un comportement barbare qui évoque le Moyen Âge, pas le XXIe siècle”, a déclaré dimanche le ministre de la Protection des citoyens grec, Takis Theodorikakos, dont les propos, tenus sur Skai TV, sont cités par le quotidien athénien de centre droit I Kathimerini. “Il y a une menace quotidienne à Évros, à travers la militarisation barbare des migrants en situation irrégulière par la Turquie, qui créé des problèmes tout le long du fleuve”, a accusé le ministre grec, soulignant que son pays s’était renforcé militairement au cours des trois dernières années (depuis que son gouvernement est au pouvoir donc).
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“Machine à fake news grecque”
Le journal de gauche Efsyn dénonce lui aussi des “pratiques inacceptables consistant à instrumentaliser la souffrance des réfugiés” et cite le chef du département des Affaires étrangères de l’ancien parti au pouvoir Syriza, qui exhorte son pays à porter l’affaire devant les instances internationales : “La Grèce doit immédiatement internationaliser la question des 92 réfugiés de l’Évros, [et demander une enquête] à l’Organisation des Nations unies et à l’Union européenne.” Pour Georgios Katrougalos, “il ne suffit pas de demander à la Turquie d’enquêter sur la question”.
Ankara, de son côté, nie toute implication dans l’incident. Le principal porte-parole de la présidence turque, Fahrettin Altun, a condamné la “machine à fake news grecque” dans une série de messages Twitter particulièrement virulents. “La Grèce a une fois de plus montré au monde entier qu’elle ne respecte pas la dignité des réfugiés, en publiant les photos de ces personnes opprimées qu’elle a expulsées après avoir extorqué leurs biens personnels”, a-t-il notamment déclaré dans ce communiqué, rapporté par la chaîne de télévision publique TRT World.
Le média, proche du gouvernement d’Erdogan, estime que “la Grèce mène depuis longtemps une politique illégale de refoulement des demandeurs d’asile qui tentent d’atteindre ses côtes”. Il affirme en outre que des ONG humanitaires “ont fréquemment signalé des refoulements et autres violations des droits de l’homme commis par les autorités grecques, qui foulent aux pieds les lois européennes et internationales”.
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“Alimenter le conflit entre ces deux pays”
Alors que les deux parties se rejettent la faute, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) a appelé à une enquête, et s’est dit “profondément affligé par ces informations et ces images choquantes”, relate la BBC. L’UNHCR a cependant précisé qu’il n’avait pas encore pu parler directement au groupe de migrants – ce qu’il espère pouvoir faire dans les prochains jours.
Le site de la chaîne de télévision britannique note opportunément que cette découverte “intervient quelques jours après la sortie d’un rapport du Bureau antifraude européen critiquant certains cadres supérieurs de Frontex [l’Agence européenne des gardes-frontières et des gardes-côtes] pour avoir dissimulé des refoulements illégaux de migrants par la Grèce vers la Turquie – ce qu’Athènes nie”. Frontex affirme de son côté que de telles pratiques, qui ont pu être celles de son personnel, appartiennent désormais au passé.
Qu’en est-il réellement ? L’ONG humanitaire Mare Liberum estime, elle, que“dans la région du fleuve Évros les crimes contre les droits de la personne sont systématiques et commis quotidiennement par la Turquie et par la Grèce”,rapporte Radio-Canada. “Lorsque ces crimes sont discutés publiquement par les membres des gouvernements, cela ne sert qu’à alimenter le conflit entre ces deux pays”, conclut l’ONG.
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Courrier International, 17 octobre 2022, Photo/Stefania Mizara/Le Pictorium