Profitant des tensions entre les principaux négociateurs et le Qatar – médiateur de premier plan entre Israël et le Hamas –, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, quasiment inaudible depuis le déclenchement de la guerre, en octobre dernier, redouble d’activisme diplomatique ces dernières semaines.
Courrier International, le 30 avril 2024
Le Hamas songerait-il à quitter le Qatar ? C’est en tout cas ce qu’affirmait, le 20 avril, The Wall Street Journal, soulignant que les pressions internationales s’accentuaient sur Doha. La tension monte entre le Hamas – dont le bureau politique est installé au Qatar depuis 2012 – et ses hôtes, entre autres en raison de l’échec des négociations concernant la libération des otages israéliens. Le quotidien américain mentionnait des contacts établis avec deux potentiels nouveaux pays hôtes, Oman et “un autre pays de la région”.
Pourrait-il s’agir de la Turquie ? s’interroge la presse turque, à l’image du quotidien Milliyet, qui rapporte que le président islamo-nationaliste, Recep Tayyip Erdogan, multiplie les entretiens en lien avec la guerre à Gaza avec l’objectif de se présenter comme une solution alternative à Doha. Ainsi, le 20 avril, il a reçu dans la même journée le ministre des Affaires étrangères égyptien, Sameh Choukri, puis le leader de la branche politique du Hamas, Ismaël Haniyeh.
L’occasion pour le président turc de rappeler son soutien au mouvement islamiste palestinien, et de dresser un parallèle entre la résistance armée du Hamas et celle des Turcs pendant la guerre d’indépendance (1919-1922). Une comparaison qui a suscité la colère dans les rangs de l’opposition, qui y a vu une atteinte à la mémoire du leader de l’indépendance et fondateur de la république de Turquie laïque, Mustafa Kemal dit “Atatürk”.
“Ni Israël ni Washington ne font confiance à Erdogan”
Toutefois, Ankara ainsi que Doha ont nié la possibilité d’un départ du Hamas du Qatar. Médiateur de premier plan depuis les attaques 7 octobre, l’émirat a laissé entendre, il y a deux semaines, qu’il allait se retirer des négociations en cours entre le Hamas et Israël, faisant craindre un enlisement des pourparlers.
La possibilité de voir la Turquie endosser le rôle d’un nouveau médiateur dans le conflit reste toutefois faible, estime pour sa part le spécialiste des relations internationales, Ömer Taspinar, interrogé par le média en ligne Turkey Recap :
“Ni Israël ni Washington ne font confiance à Erdogan – son ministre des Affaires étrangères [et ancien chef des services secrets], Hakan Fidan, est considéré comme quelqu’un de compétent, mais son patron [Recep Tayyip Erdogan] est trop colérique et imprévisible.”
La Turquie, qui ne dispose pas d’alliances solides avec les autres pays de la région, est restée en marge malgré ses efforts diplomatiques pour influer sur la situation à Gaza, estime la version turque de la Deutsche Welle.
“Erdogan est mécontent de n’avoir obtenu aucun rôle dans les négociations. Comme il voit que le processus parrainé par le Qatar avec le soutien américain et égyptien piétine, il tente de s’interposer et de jouer sa partition, mais il n’est pas en position de pouvoir convaincre le Hamas de quoi que ce soit”, estime l’universitaire Hans-Jakob Schindler, interrogé par le média.
Soigner sa base électorale
L’activisme diplomatique et les déclarations chocs du président turc sont également pour lui un moyen de se réconcilier avec une partie de sa base électorale. En effet, son refus d’appliquer un embargo commercial contre Israël lui a valu de nombreuses critiques dans les cercles islamistes turcs et lui a coûté de nombreuses voix lors des élections municipales du 31 mars.
Le tapis rouge déployé par Recep Tayyip Erdogan pour accueillir le chef politique du Hamas est aussi un point d’achoppement supplémentaire avec Washington. Nettement réchauffées par la levée du veto turc à l’entrée de la Suède dans l’Otan, les relations entre les deux pays ne sont pourtant pas au beau fixe. La visite d’Erdogan à la Maison-Blanche, la première depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, initialement prévue le 9 mai, a ainsi été reportée sine die, souligne le média en ligne T24.
Et dans le port de Tuzla, en périphérie d’Istanbul, des bateaux toujours à quai pourraient contribuer à tendre un peu plus encore les relations entre Ankara et Tel-Aviv. La “flottille de la liberté”, qui compte plusieurs navires affrétés par l’association islamiste turque très proche du pouvoir, l’Insani Yardim Vakfi (IHH), mais qui bénéficie aussi du soutien de nombreuses associations et partis de la gauche européenne, attend de pouvoir prendre son départ vers Gaza.
Annoncé comme imminent, le départ a finalement été repoussé. Israël ayant fait pression sur la Guinée-Bissau, sous le pavillon duquel devait flotter un des navires, ont dénoncé les organisateurs, lors d’une manifestation à Istanbul, samedi 27 avril, rapporte le quotidien islamiste Yeni Safak.
En 2010, un navire d’une flottille similaire, le Mavi Marmara, également affrété par l’IHH, avait été arraisonné au large de Gaza par la marine israélienne lors d’une opération qui avait fait dix morts parmi l’équipage et provoqué une crise diplomatique entre Ankara et Tel Aviv.