« Dans un film aux relents misanthropes, un prof exilé à la campagne se cherche dans les mornes plaines enneigées » écrit Olivier Lamm dans Libération du 19 mai 2023
La première ambivalence des Herbes sèches est ce qu’il nous dit de son décor, un village d’Anatolie enterré pendant la majeure partie du film sous la neige. Grand dehors sublime, ou abîme évidé ? Son héros Samet, professeur d’arts plastiques délocalisé, y vit en tout cas son existence comme un calvaire, c’est un trou, rien ne vaut la peine d’y faire le moindre effort si ce n’est l’eau de source qu’on trouve dans les hauteurs, et la jeune Sevim, jeune adolescente qui compte parmi ses élèves et à laquelle il voue une attention toute particulière. De quoi cette attention est-elle le nom ? Première intrigue qui fait valdinguer les Herbes sèches de la chronique obscure à l’affaire de mœurs, puisque Samet et son colocataire, Kenan, sont accusés d’attitudes déplacées à leur endroit. Affaire qui n’est pas pour autant le sujet central du film, qui, dans la tradition des récits amples de Nuri Bilge Ceylan, emporte un triangle amoureux, des jalousies professionnelles, un ami en rupture de ban que Samet voudrait bien sauver.
La visée des Herbes sèches serait plutôt de répondre à la question : comment passer à côté de ce que la vie nous donne, et s’en rendre compte le plus tard possible ? Celui qui foire tout – et finit, dans une voix off très tardive, par expliciter le titre à grand renfort d’amertume corsée – est Samet lui-même, et le fait que le film nous le présente comme un sale type (euphémisme : c’est un connard) et simili Erdogan qui trompe, ment, sadise n’aide pas à se frayer un chemin dans sa massive misanthropie. Il n’est pas le seul, c’est à préciser, à être un salaud toxique (Kenan le taiseux en tient une sacrée couche) mais c’est avec lui qu’on plonge dans le désarroi (métaphysique, social, politique, etc.) et c’est lui qui a le dernier mot. Ceylan, jusqu’au-boutiste, courageux, ne lui tourne jamais le dos. Si ce n’est dans une inattendue parenthèse qui fait tomber le rideau de la fiction pour nous montrer l’acteur avaler une pilule de Viagra, dont la seule explication de texte possible serait : «le mal est partout». Dingue.