La Jordanie et l’Egypte, traditionnels alliés des Etats-Unis, sont vent debout contre Washington, après le carnage à l’hôpital de Gaza. Le mini-sommet qui devait se tenir à Amman, en présence du président Biden et de son homologue palestinien, Mahmoud Abbas, a été annulé.
Le 18 Octobre 2023, Nicolas Bourcier, Le Monde.
C’est un camouflet pour Joe Biden, en visite en Israël ce mercredi. Le mini-sommet auquel le président américain devait prendre part, le même jour, en Jordanie, a été reporté sine die par Amman, après l’explosion à l’hôpital Al-Ahli, à Gaza, qui a fait des centaines de morts, et la vague de colère que ce carnage a suscitée au Moyen-Orient. Une rebuffade rarissime : la Jordanie est un proche allié de Washington dans la région.
Le sommet se tiendra « lorsque la décision d’arrêter la guerre et de mettre fin [aux] massacres » sera prise, a déclaré le ministre des affaires étrangères jordanien, Ayman Safadi. L’annulation a été décidée en concertation avec l’Egypte, autre partenaire majeur des Etats-Unis. Avec le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, conspué en Cisjordanie, mardi soir, le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, devait assister au sommet voulu par le roi Abdallah II de Jordanie. La diplomatie du Caire a condamné avec virulence le « bombardement israélien » de l’hôpital de Gaza, « délibéré ». Le Hamas accuse l’armée israélienne de l’attaque. Celle-ci rejette toute responsabilité et impute l’hécatombe au Jihad islamique, qui dément à son tour.
Amman, comme Le Caire, est exaspéré par le blocage de l’entrée de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza. Les deux capitales accusent Israël, qui a bombardé à quatre reprises les abords du point de passage entre l’enclave palestinienne et l’Egypte, d’entraver l’acheminement de cette aide vitale. Les Etats-Unis paient le prix de leur immobilisme des derniers mois, face aux craintes de déstabilisation dans la région, exprimées par la Jordanie après l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement d’extrême droite en Israël, à l’hiver 2022.
Les Etats-Unis et la France ciblés
Mardi soir, des manifestants ont tenté de pénétrer dans l’ambassade d’Israël à Amman. Ils ont été repoussés par la police jordanienne, qui a tiré des gaz lacrymogènes. Les protestataires, qui se rassemblent chaque jour depuis le début de la guerre de Gaza, non loin de la représentation diplomatique, très protégée, ne s’en étaient jamais autant approchés. Selon une source à Amman, les forces de sécurité sont depuis des jours sur le qui-vive dans tout le pays.
Les pays occidentaux ayant emboîté le pas aux Etats-Unis, dans un soutien inconditionnel à Israël depuis l’attaque sanglante du Hamas, le 7 octobre, sont aussi ciblés par la vindicte populaire. Cela concerne en particulier la France, qui est allée jusqu’à interdire sur son sol les manifestations de solidarité envers les Palestiniens. Beaucoup estiment que Paris s’est désormais décrédibilisé pour parler de liberté d’expression. A Tunis, environ 3 000 manifestants se sont massés, mardi, devant l’ambassade de France, à la suite d’appels spontanés sur les réseaux sociaux qui, du Maroc à l’Irak, bouillonnaient de colère, mardi soir, après la destruction de l’hôpital Al-Ahli. Le démenti israélien de toute responsabilité n’a rien changé à cette vague d’indignation 2.0.
Des slogans hostiles ont nommément visé, à Tunis, le président Emmanuel Macron, qualifié d’« assassin » et d’« allié des sionistes ». Les manifestants ont réclamé le départ de l’ambassadrice, ainsi que celui de son homologue américain, et appelé à la « libération de la Palestine ». Lundi, déjà, plusieurs messages avaient été tagués à la bombe de peinture sur le mur extérieur de l’Institut français de Tunis, en soutien à la Palestine et en réaction de colère face à la position unilatérale de Paris. Mardi soir, le chef d’Etat français a condamné l’attaque contre l’hôpital, affirmant que « rien ne peut justifier de prendre des civils pour cibles », mais n’a pas appelé à un cessez-le-feu à Gaza.
L’entrée du siège de l’ONU à Beyrouth vandalisée
A Beyrouth, quelques dizaines de manifestants se sont également réunis devant l’ambassade de France. Mais c’est surtout la représentation des Etats-Unis, un gigantesque complexe bunkérisé, entouré de barrages de l’armée libanaise, situé à Aoukar, au nord de la capitale, qui a été la cible de la colère des Libanais. Des centaines de jeunes venus à scooter, dont certains avaient le visage masqué par un keffieh palestinien, ont jeté des pierres en direction du bâtiment et crié « mort à l’Amérique ! », « mort à Israël ! ». Dans la nuit, les Etats-Unis ont annoncé autoriser le départ du Liban de leur personnel non essentiel et de leurs familles. Dans le centre de Beyrouth, l’entrée du siège des Nations unies a été vandalisée. Le mercredi 18 octobre a été décrété « journée de colère » par le mouvement chiite libanais Hezbollah, allié du Hamas.
En Egypte, bravant l’interdiction de tout rassemblement édicté par les autorités, des centaines de personnes ont défilé mardi sur la place Hosary, dans la Ville-du-6-Octobre, située dans la banlieue ouest du Caire. « Avec notre âme, notre sang, nous te rachèterons, ô Jérusalem », scandait la foule. Dans la soirée, un attroupement s’est également formé devant l’ambassade américaine du Caire à l’appel d’un petit parti d’opposition. Le président, Abdel Fattah Al-Sissi, qui a criminalisé toute manifestation depuis son accession au pouvoir en 2013, redoute que les rassemblements pro-Palestine ne se transforment en un mouvement de protestation plus large contre son régime, très critiqué pour sa gestion de la crise économique qui accable le pays. Des milliers d’Egyptiens ont encore défilé mercredi en soutien aux Palestiniens.
La mobilisation a fait tache d’huile hors des frontières arabes, gagnant l’Iran ou la Turquie. Dès l’annonce du bombardement de l’hôpital à Gaza, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a appelé à « l’arrêt de cette violence sans précédent » et accusé nommément les Israéliens d’être responsables de la frappe. Dans la soirée, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées devant le consulat israélien à Istanbul et aux abords de l’ambassade à Ankara, le poing levé, aux cris d’« Allahou akbar ! » (Allah est grand !), « à bas Israël ! » ou pour le « retour du califat ». Plusieurs manifestants ont bloqué la circulation sur l’une des autoroutes de la capitale avant d’être délogés par l’important dispositif policier déployé dans les deux villes.