Europe-Turquie: un rapprochement stratégique autour de la défense et de l’Ukraine / Anne Andlauer / RFI

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RFI, le 17 mars 2025

Face aux États-Unis de Donald Trump et à la Russie de Vladimir Poutine, l’Europe doit repenser sa défense et garantir la sécurité de l’Ukraine. Les Européens s’efforcent de resserrer les rangs et de renforcer leurs liens avec la Turquie, membre de l’OTAN, candidate à l’Union européenne et alliée de Kiev. Ce samedi 15 mars, le président turc Recep Tayyip Erdogan a pris part à un sommet virtuel rassemblant une vingtaine de dirigeants alliés de l’Ukraine, organisé par le Royaume-Uni. Une invitation qui illustre la volonté de l’Europe de réintégrer la Turquie dans ses discussions.

Depuis début mars, Ankara a été conviée à plusieurs réunions de crise sur l’Ukraine ou directement informée par les dirigeants de l’Union européenne de l’état des discussions entre les 27. Le 12 mars dernier, le Premier ministre polonais Donald Tusk, dont le pays assure la présidence tournante du Conseil de l’UE, s’est rendu à Ankara pour demander à Erdogan « d’assumer autant que possible la coresponsabilité du processus de paix » en Ukraine.

Ce week-end, à Londres, le Premier ministre britannique a affirmé qu’un groupe de pays occidentaux, appelé « coalition des volontaires », préparait un plan pour sécuriser l’Ukraine en cas d’accord de paix avec la Russie. La Turquie, qui soutient sans ambiguïté l’intégrité territoriale de l’Ukraine et lui a fourni des drones de combat, pourrait faire partie de ces pays. En tout cas, elle n’a jamais exclu une éventuelle participation, même si les conditions restent à définir.

La Turquie a déjà joué le rôle d’intermédiaire

C’est un sujet délicat pour Ankara en raison de ses liens avec Moscou, qu’elle a préservés malgré la guerre en refusant notamment d’appliquer les sanctions occidentales. Toutefois, une chose est certaine : la Turquie n’acceptera pas une situation dans laquelle ses troupes risqueraient d’être prises entre les forces ukrainiennes et russes.

Pour autant, Ankara a déjà joué plusieurs fois les intermédiaires entre Kiev et Moscou. Forte de son expérience en Syrie, elle est habituée à collaborer avec la Russie dans des « zones de déconfliction », visant à prévenir les escalades militaires. Cette expertise pourrait lui permettre d’endosser un rôle stratégique dans le cadre d’un éventuel cessez-le-feu en Ukraine.

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Une place dans la défense européenne

Au-delà du dossier ukrainien, la Turquie cherche à s’imposer dans les discussions sur l’avenir de la défense européenne. Face aux craintes d’un désengagement américain vis-à-vis de l’OTAN et de la sécurité de l’Europe, la Turquie revendique une place à part entière dans la nouvelle architecture de défense qui se dessine. 

« Il est inconcevable d’assurer la sécurité européenne sans la Turquie », déclarait récemment Recep Tayyip Erdogan devant un parterre d’ambassadeurs. Malgré des années de tensions sur l’État de droit, des conflits maritimes avec la Grèce et Chypre et le blocage de sa candidature à l’UE, la Turquie ne manque pas d’arguments pour peser dans les débats. Son armée est la deuxième plus importante de l’OTAN en termes d’effectifs, et son industrie de défense figure parmi les plus dynamiques au monde, avec des revenus à l’export dépassant 7 milliards d’euros l’an dernier.

Des enjeux stratégiques pour Ankara

Selon Sinan Ülgen, ancien diplomate turc et fondateur du centre de recherche Edam, Ankara poursuit plusieurs objectifs. D’abord, la Turquie ne veut pas être écartée d’une nouvelle configuration sécuritaire de l’Europe qui pourrait remplacer l’Otan, dont elle est membre depuis 1952. Ensuite, les financements pour la sécurité de l’Europe, qui vont devoir augmenter, pourraient en partie être utilisés pour acheter des produits de l’industrie de défense turque.

Enfin, un rapprochement dans les domaines de la sécurité et de la défense pourrait renforcer les relations turco-européennes. par exemple, une coopération renforcée pourrait notamment ouvrir la voie à une modernisation de l’union douanière entre la Turquie et l’UE, en vigueur depuis 30 ans, mais dont la réforme reste bloquée pour des motifs politiques.

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