« La Grèce paiera un «prix élevé» si elle continue de violer l’espace aérien turc et de «harceler» les avions turcs en mer Egée, a prévenu samedi 3 septembre le président turc qui a brandi le souvenir de la «grande catastrophe» de Smyrne et refusé de reconnaître l’intégrité territoriale de son voisin, membre de l’UE » rapporte Fabien Perrier dans Libération du 3 septembre 2022.
Brandir le souvenir d’un massacre et menacer de le répliquer. Montant de plusieurs crans dans l’escalade verbale, le président turc Recep Tayyip Erdogan a prononcé ce samedi à Samsun, dans le Nord de la Turquie, lors du festival des technologies aériennes, un discours qui a glacé les Grecs et les inquiète au plus haut point. Le maître d’Ankara a estimé que les avions militaires grecs violaient l’espace aérien turc et qu’ils ne cessaient de «harceler» les avions turcs en mer Egée.
Dimanche 28 août, Ankara avait déjà affirmé que des avions turcs en mission dans cette zone avaient été visés par le système de défense aérienne S-300 de la Grèce, et avait dénoncé une «action hostile». Sauf que cette fois, les menaces se font plus précises : «Si vous allez trop loin, le prix à payer sera lourd», a-t-il prévenu. Il a ajouté : «Votre occupation des îles [de la mer Egée proches de la Turquie] ne nous lie en rien. Le moment venu, nous ferons le nécessaire. Nous pouvons arriver subitement la nuit», a-t-il menacé, reprenant une formule souvent utilisée lorsqu’il parlait de lancer une opération en Syrie ou contre les Kurdes.
Dans son discours, un autre élément fait froid dans le dos : la référence à l’Histoire. «Grèce, regarde l’histoire, remonte le temps. Nous n’avons qu’une chose à dire : souviens-toi d’Izmir», a-t-il lancé à la tribune. Ce souvenir est un moment charnière dans l’histoire des deux pays. En effet, à Smyrne, la ville de la mer Egée que les Turcs appellent Izmir, s’est produite «la Grande catastrophe» il y a 100 ans. Du 13 au 17 septembre 1922, un incendie dans la ville après l’arrivée des troupes turques se solde par un massacre ou l’expulsion des populations grecques d’Asie Mineure. Pour les Grecs, ce souvenir est un traumatisme absolu qui se transmet de génération en génération. Pour les Turcs, c’est un échange de populations entre la Grèce et la Turquie, mis en place par le traité de Lausanne du 24 juillet 1923 et menant à la proclamation de la République le 29 octobre 1923 par Mustafa Kemal Atatürk.
La déclaration d’Erdogan ne doit rien au hasard. Depuis plusieurs semaines, les tensions reprennent entre la Grèce et la Turquie, tous les deux membres de l’Otan, alors que les dirigeants des deux pays sont en proie à des difficultés internes. Le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis (Nouvelle démocratie, droite conservatrice) est empêtré dans une affaire d’écoutes qui le fragilise. Quant au Président turc, il doit affronter une population de plus en plus inquiète par l’inflation galopante et la dévaluation de sa devise. Chacun accuse régulièrement l’autre de tous les maux. Et les migrants restent pris en étau dans cette bataille larvée entre les deux pays.
Les découvertes de gisements d’hydrocarbures en mer Egée sont l’occasion pour Erdogan de contester d’un les eaux territoriales grecques. A travers la minorité turque, en Thrace, Ankara tente également de revendiquer une extension de son territoire. Dans le fond, la Turquie souhaite une révision des Traités de Sèvres et de Lausanne qui fixent ses frontières. Des dossiers qui alimentent des contentieux historiques entre les deux pays.
Mais depuis l’arrivée du Premier ministre Kyriakos Mitsotakis à la tête du pays, en juillet 2019, le bras de fer redouble d’intensité. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a même insulté son homologue grec après une visite aux Etats-Unis, accusant Athènes d’avoir mené une campagne pour saboter des ventes d’armes américaines à la Turquie. Depuis, le dialogue est rompu entre les deux voisins. Nul doute que ce sujet sera au cœur des discussions que la ministre française des Affaires étrangères et européennes aura le 5 septembre à Ankara et 6 septembre à Athènes, où elle rencontrera ses homologues. En 2021, la France a signé un accord de défense mutuelle avec la Grèce. En Mer Egée, la tension monte et les alliances risquent fort d’être mises à l’épreuve.
Libération, 3 septembre 2022, Fabien Perrier, Photo/Adem Altan/AFP