Le Figaro, 15 juillet 2021
Le président turc doit prononcer jeudi un discours devant des milliers de partisans à Ankara et inaugurer un «musée de la démocratie».
Le président turc Recep Tayyip Erdogan célèbre jeudi 15 juillet le cinquième anniversaire d’une sanglante tentative de coup d’État qui lui a permis d’asseoir son pouvoir au prix d’une interminable répression et de tensions avec les pays occidentaux.
Dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016, des éléments factieux de l’armée déployaient des chars dans les rues pendant que des avions survolaient Istanbul et Ankara, bombardant plusieurs sites importants comme le Parlement. L’intervention d’éléments loyalistes et de dizaines de milliers de partisans d’Erdogan descendus dans la rue à l’appel du président avait permis de mettre en échec le soulèvement. Bilan: 251 personnes tuées, hors putschistes. Signe de l’importance historique qu’accorde Recep Tayyip Erdogan à la mise en échec du putsch, il doit prononcer jeudi un discours devant des milliers de partisans à Ankara et inaugurer un «musée de la démocratie» retraçant les principaux événements de cette nuit qui a, selon lui, «changé le destin» de la Turquie.
Pour nombre d’analystes, le coup d’État manqué a surtout hâté la dérive autoritaire du président, qui a considérablement renforcé ses pouvoirs en 2017 en remplaçant le système parlementaire par un régime présidentiel fort. Recep Tayyip Erdogan, qui dirige la Turquie depuis 2003, a vu le putsch manqué comme «une opportunité d’accélérer la concentration du pouvoir entre ses mains», estime ainsi un diplomate occidental. Accusant un ancien allié, le prédicateur Fethullah Gülen, d’avoir ourdi le putsch, Erdogan a aussi lancé une implacable répression contre ses partisans présumés, qui s’est élargie à l’opposition prokurde et aux médias critiques. Le putsch manqué a permis à Recep Tayyip Erdogan de «justifier la répression visant une large opposition» en soutenant que «des groupes hostiles cherchent en permanence à nuire» à la Turquie, explique Soner Cagaptay, expert au Washington Institute of Near East Policy.
La répression bat son plein
Cinq ans après le putsch manqué et en dépit des critiques, la répression bat son plein: des partisans présumés de Fethullah Gülen continuent d’être arrêtés chaque semaine et le principal parti prokurde HDP, dont plusieurs députés ont été incarcérés, fait l’objet d’une procédure d’interdiction. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis 2016, plus de 300.000 personnes ont été interpellées dans le cadre de la lutte contre le mouvement de Fethullah Gülen et près de 3.000 condamnées à la prison à vie, selon les autorités. En outre, plus de 100.000 personnes ont été limogées des institutions publiques, dont quelque 23.000 soldats et 4.000 magistrats, dans le cadre de purges d’une ampleur sans précédent.
Recep Tayyip Erdogan a affirmé mercredi que la lutte contre le mouvement de Fethullah Gülen continuerait «jusqu’à ce que son dernier membre soit mis hors d’état de nuire». La traque se poursuit aussi à l’étranger: les services secrets turcs ont en effet mené plusieurs opérations dans des pays d’Asie centrale, d’Afrique et des Balkans pour ramener de force des partisans présumés de Fethullah Gülen. Ankara a ainsi annoncé début juillet avoir «rapatrié» un enseignant turc habitant au Kirghizstan, Orhan Inandi, qui s’était volatilisé quelques semaines auparavant et que les autorités turques présentent comme un cadre du mouvement guléniste.
Mais Fethullah Gülen, qui réside aux États-Unis et nie toute implication dans la tentative de coup d’État, reste pour le moment hors d’atteinte. Ankara a plusieurs fois demandé son extradition, sans succès. Ce dossier a donné lieu à des tensions entre la Turquie et les États-Unis, deux pays dont les relations se sont dégradées depuis 2016. En parallèle, la Turquie s’est rapprochée de la Russie de Vladimir Poutine et a mené une politique étrangère plus affirmée, intervenant militairement dans plusieurs conflits au prix de tensions croissantes avec ses partenaires de l’Otan. Erdogan a également systématiquement rejeté les critiques de l’Union européenne concernant la dégradation de l’État de droit depuis le putsch manqué, dénonçant un «manque d’empathie».
Les célébrations jeudi permettront aussi au président turc de battre le rappel de ses troupes, au moment où sa popularité s’érode en raison de difficultés économiques. Car avoir accumulé autant de pouvoirs après le putsch manqué a aussi un «revers de la médaille» pour Recep Tayyip Erdogan, souligne le diplomate occidental. «Lorsque les choses se passent mal, il est plus dur de rejeter la responsabilité sur autrui.»