Pour le centenaire de la République turque, Romain Besnainou propose un documentaire sur les vingt dernières années passées sous la férule de son inamovible président.
Le 22 Octobre 2021, Marie Jégo, Le Monde.
Comment expliquer la fascination que le président Recep Tayyip Erdogan exerce sur une majorité de Turcs ? Sa popularité semble inaltérable, la preuve, ni le séisme du 6 février, qui a fait 50 000 morts, ni l’inflation galopante (60 % en moyenne annuelle), ni son autoritarisme forcené, ne sont parvenus à détourner de lui sa base électorale, conservatrice et pieuse. Réalisé à l’occasion de la célébration du centenaire de la création de la République turque par Mustafa Kemal Atatürk (le 29 octobre 1923), le documentaire de Romain Besnainou, Erdogan, la revanche du sultan, éclaire sur les bouleversements survenus ces vingt dernières années en Turquie sous la houlette de son inamovible président.
Aux manettes depuis vingt ans, réélu le 28 mai 2023 pour un troisième mandat de cinq ans alors que la Constitution en autorise deux seulement, ce dirigeant hors norme séduit autant qu’il divise. Considéré comme un « prophète » par ses adeptes, il est décrit comme un « bourreau » par ses détracteurs, prompts à lui reprocher sa posture de sultan ainsi que la modification radicale de l’ADN du pays. Insubmersible, le père de l’islam politique turc, 69 ans, s’est sorti de tous les mauvais pas, les protestations de masse, les scandales de corruption, une tentative de renversement en 2016, la monnaie locale qui ne cesse de se déprécier, les manquements de son gouvernement, notamment au moment du tremblement de terre.
« La fierté retrouvée »
Des images tournées après la tragédie dans la ville millénaire d’Antakya réduite en poussière montrent un Turc en colère : « Où est l’Etat ? On est restés trois jours sans aide, personne n’est venu ! ». Il a perdu la foi en Recep Tayyip Erdogan et assure qu’il n’est pas le seul. « Personne dans ces ruines n’est prêt à lui pardonner ». Contre toute attente, le président est réélu au second tour avec 52 % des voix quelques mois plus tard. Les sondages le disaient perdant, l’opposition l’imaginait quittant son palais aux allures de « Sublime Porte » à la périphérie d’Ankara – plus de mille pièces, cinq fois Versailles –, or il a triomphé. Quelle est sa recette ? Avant tout, ses partisans lui sont reconnaissants pour « la fierté retrouvée », disent-ils.
On comprend mieux la ferveur qui les anime en pénétrant sur les lieux de la Teknofest, une exposition annuelle de l’armement devenue la grand-messe du pouvoir islamo-conservateur. Groupes scolaires, ingénieurs, fans de tech, hommes d’affaires, familles modestes s’y pressent chaque année pour admirer les dernières réalisations de l’industrie turque de défense, dont l’essor est fulgurant. La star de la fête est Selçuk Bayraktar, le concepteur du drone du même nom. PDG de l’entreprise familiale Baykar Makina qui produit ces engins sans pilotes utilisés par les Ukrainiens pour contrer l’invasion russe, il est aussi le gendre du président Erdogan, l’époux de sa fille cadette Sümeyye.
« Le drone donne l’espoir à notre peuple (…) et peut être qu’un jour on sera le numéro un mondial », explique dans le documentaire cet ingénieur formé à Boston, pour qui la Teknofest est un incubateur de talents. « Les personnes qui viennent ici se disent qu’elles peuvent réussir elles aussi… ». Autour de lui, la foule est dense. Des jeunes filles réclament un selfie. De loin, un jeune homme s’écrie : « Dieu te bénisse ! Toi et papa Erdogan ! »
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Erdogan, la revanche du sultan Un documentaire de Romain Besnainou (Fr. 2023, 70 min). Suivi de Atatürk : père de la Turquie moderne.