Le président turc est attendu dans la station balnéaire de Sotchi par son homologue russe pour une rencontre bilatérale, alors que leurs relations se sont considérablement distendues ces derniers mois.
Article de Libération du 3 septembre 2023
Quand il a annoncé il y a quelques semaines que Vladimir Poutine viendrait le rencontrer en Turquie en août, Recep Tayyip Erdogan a suscité interrogations et spéculations. Le maître du Kremlin, encore secoué par la tentative de coup d’Etat du chef de la milice Wagner, Evgueni Prigojine, et visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pourrait-il sortir de son pays ? Depuis, Vladimir Poutine semble y avoir lui-même répondu en renonçant à participer au sommet des Brics en Afrique du Sud, tout comme au prochain sommet du G20 ce mois-ci en Inde.
Ambiance tendue
C’est finalement à Sotchi, la réputée station balnéaire russe sur les rives de la mer Noire, que les deux dirigeants se retrouvent et Erdogan qui fait le voyage, un an après une rencontre identique au même endroit, en août 2022. Mais dans une ambiance autrement plus tendue. Car au lieu de célébrer leur accord, conclu avec l’ONU, sur l’exportation des céréales ukrainiennes à travers la mer Noire, les deux hommes vont discuter de leurs désaccords, sur ce sujet mais probablement aussi sur bien d’autres.
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La relance de l’accord sur les céréales, non reconduit par la Russie le 22 juillet, est l’objectif principal de la réunion de Sotchi, selon les sources officielles turques. Et le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a déclaré jeudi qu’il avait envoyé à la Russie «une série de propositions concrètes» visant à relancer un accord qui avait permis le passage en toute sécurité d’environ 33 millions de tonnes de céréales depuis les ports ukrainiens. Mais la Russie «ne voit aucun signe qu’elle recevrait les garanties nécessaires pour relancer l’accord», affirmait jeudi le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, en recevant son homologue turc Hakan Fidan, pour préparer la rencontre entre leurs présidents.
Entre les deux leaders, qui se connaissent et se comprennent depuis deux décennies au sommet du pouvoir dans leur pays, les relations sont aussi fluctuantes qu’indispensables. Récemment, la liste des griefs de Poutine à l’égard d’Erdogan s’est allongée et sa dénonciation de l’accord sur les céréales en a été l’expression la plus concrète. Au moment où il était confronté au défi intérieur le plus grave qu’il ait connu avec la rébellion de Prigojine, le chef du Kremlin a observé son partenaire turc recevoir en grande pompe le président ukrainien Volodymyr Zelensky, en visite officielle à Istanbul début juillet. Puis encaissé le soutien déclaré d’Erdogan à une future adhésion de l’Ukraine à l’Otan lors du sommet de l’organisation à Vilnius. L’homme fort de Moscou s’inquiète plus globalement de ce qui ressemble à une nouvelle inclination d’Erdogan en direction de l’Occident, alors que le rejet de celui-ci a été souvent partagé par les deux leaders.
«Success story»
Depuis sa réélection en mai, les diplomates européens parlent d’une «stratégie d’apaisement» engagée par le président turc. Elle est dirigée vers les Occidentaux, mais aussi vers les pays de sa région, confortant ainsi un peu plus sa position de médiateur vis-à-vis de la crise ukrainienne : il est l’homme qui peut parler à tout le monde. «Erdogan vise une nouvelle success story en relançant avec Moscou l’accord sur les céréales», estime l’éditorialiste Semih Idiz sur le site d’analyse Al-Monitor. «Un retour à l’accord négocié avec l’ONU, qui avait valu un grand crédit international à Erdogan, ramènerait celui-ci à nouveau sous les projecteurs, notamment quand il se rendra à l’Assemblée générale de l’ONU plus tard en septembre», explique l’expert turc.
Mais Poutine serait-il disposé à offrir à son homologue turc qui le dérange une telle occasion de briller à nouveau ? «Malgré ses différends avec Erdogan, Poutine ne peut se permettre de mettre en péril ses relations avec la Turquie, écrit Semih Idiz. La question est de savoir s’il lui fera le cadeau d’un nouvel accord sur les céréales avant la session de l’ONU.» Reste que pour s’affirmer durablement comme le médiateur incontournable entre Russes et Occidentaux, Recep Tayyip Erdogan doit déployer des trésors de diplomatie pour ne pas perdre la confiance des uns comme des autres.