Depuis l’élection présidentielle le 28 mai, l’économie turque a repris sa dégringolade. La faute à une inflation mal gérée par le gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan et aux milliards de dollars en promesses de campagne. Par Libération du 7 juin 2023.
Le péril était imminent. Soutenue de façon massive et artificielle avant les élections présidentielles et législatives de mai par la Banque centrale turque, la livre turque a atteint ce mercredi 7 juin un nouveau plus bas historique face au dollar. Dix jours après la réélection du président Recep Tayyip Erdogan, elle s’échange autour d’un dollar pour 22,80 livres turques, à -5,5 %. La livre turque perd également énormément de terrain face à l’euro (-5,35 %). Elle s’échange autour de 24,38 livres pour un euro, contre moins de 21,5 livres pour un euro avant le second tour de l’élection présidentielle du 28 mai.
Autrefois portée par une main-d’œuvre bon marché et un système bancaire efficace, l’économie turque est confrontée à un problème qu’Erdogan a lui-même provoqué par sa croisade contre le «lobby étranger» de la hausse des taux d’intérêt. Une politique appliquée dans presque tous les Etats pour tenter d’endiguer l’inflation en freinant la demande. Le président turc a aussi par le passé invoqué les préceptes de l’islam, qui interdit l’usure (le prêt d’argent)
Pour mener à bien sa bataille idéologico-économique, Erdogan a fait valser les gouverneurs de la banque centrale turque. Les résultats ont été désastreux : la livre turque a plongé et l’inflation annuelle officielle a dépassé les 85 % à l’automne – voire plus du double, selon un groupe d’économistes turcs indépendants.
L’intervention de la Banque centrale turque, qui a dépensé plus de 30 milliards de dollars entre le 1er janvier et le scrutin présidentiel en mai, avait permis de contenir la chute de la monnaie locale. Mais cette politique n’est pas tenable à terme.
«Mesures rationnelles»
Les experts avancent deux solutions pour tenter de remettre l’économie turque sur les rails : relever les taux d’intérêt ou laisser chuter la livre, les mesures de soutien monétaire ayant annulé l’avantage que représentent les taux d’intérêt bas dans une économie dominée par l’industrie manufacturière. La première hypothèse a été exclue pendant la campagne et la seconde serait très douloureuse. Celle-ci affecterait davantage le pouvoir d’achat des Turcs et pourrait contraindre le gouvernement à chercher des milliards de dollars pour des mesures de soutien aux ménages, en plus des nombreuses promesses électorales.
Devant la catastrophe qui court, le président Recep Tayyip Erdogan semble contraint de changer son fusil d’épaule. Il a déjà fait un pas de côté samedi 3 juin en nommant un nouveau ministre de l’Economie, Mehmet Simsek, partisan d’une politique économique orthodoxe, qui consiste généralement à relever les taux d’intérêts et diminuer les dépenses publiques. Lors de sa prise de fonction celui-ci a averti qu’il faudrait revenir à des «mesures rationnelles».