« Ataol Behramoğlu est l’une des grandes voix de la littérature turque contemporaine. Poète, dramaturge, traducteur et théoricien, il est l’auteur d’une vaste œuvre courant de la fin des années 1960 jusque de nos jours. Behramoğlu est un écrivain qui navigue entre les langues et les cultures, aussi bien familier des pays de l’ex-Union soviétique que de l’Angleterre et de la France, où il a passé plusieurs années d’exil politique. Son œuvre hérite de la poésie moderniste du XXème siècle, dans la continuité de Maïakovski et d’Hikmet, ainsi que de Neruda, qu’il a connu personnellement. » Noémie Cadeau*
L’OBSERVATOIRE DE LA TURQUIE CONTEMPORAINE publie aujourd’hui deux articles qui se complètent concernant Behramoğlu. Le premier est signé de Timour Muhidine, directeur de la collection “Lettres turques” chez Actes Sud et maître de conférence à l’INALCO et le deuxième est l’entretien réalisé par Noémie Cadeau, étudiante, normalienne à l’INALCO avec le poète. « Cet entretien réalisé en français à Istanbul livre le portrait d’un homme et d’une œuvre révolutionnaires, tant politiquement que poétiquement. » Noémie Cadeau
Dans la ville d’Attila Jozsef en regardant depuis un pont * (Attila Jozsef’in şehrinde bir köprüden Tuna’ya bakmak)
Timour MUHIDINE
* Un printemps assiégé, recueil bilingue paru au Merle moqueur, Pantin, en 2021.
Dans l’été 1989, je passais quelques jours à Budapest et dans une vitrine de libraire, je vis surgir ce mince recueil de Ataol Behramoğlu que j’achetai pour me convaincre que la littérature turque d’aujourd’hui transcendait toutes les frontières… Je continuai à chercher sur les rayons mais ne trouvai aucun autre auteur turc. De toute évidence, c’était un cas unique. Et ce qu’il fallait comprendre (que je ne réalisais qu’un peu plus tard), c’est qu’il appartenait à une constellation de poètes traducteurs qui se relayaient les uns les autres, en particulier dans les pays du Bloc de l’est et dans leurs rapports avec les pays que l’on disait encore du Tiers-monde, Afrique ou Asie du Sud-est. L’allemand Stephan Hermlin, le hongrois Sandor Weöres ou la bulgare Blaga Dimitrova. Ils mettaient à disposition les voix amies qui, selon eux, représentaient le mieux les peuples frères de la constellation socialiste.
Le lien c’était l’Europe centrale et son emprise poétique mais aussi la voix unifiante de Nâzım Hikmet. Et ce long compagnonnage de Ataol concerne aussi l’espace soviétique puis russe. Formé en langue et littérature russes à l’Université d’Ankara, il vivra par la suite deux années à Moscou (1973-74) puis fréquentera largement le monde socialiste. Il est également l’interprète turc de très nombreux poètes classiques, Pouchkine et Lermontov en particulier, qui attendaient depuis longtemps une traduction intégrale.
Il n’est donc pas étonnant de retrouver dans sa production une inspiration ancrée dans la Mitteleuropa. Plusieurs des poèmes – dans la lignée de la période d’exil de Nâzım Hikmet à Prague ou Berlin-Est – de ce très beau recueil bilingue, évoquent la Hongrie, jouant sur la proximité de sensibilité avec le Magyar Attilà Joszef (1905-1937). Il s’y applique à une narrativité décousue qui rappelle l’épopée moderniste mais réintroduit le lyrisme poignant du poète de gauche des années 1970 : en réalité, dans ce long poème sur Budapest, il effectue une quête du poète emblématique des années trente à Budapest, de sa critique sociale et de la beauté émergeante des paysages industriels, ce qui lui permet aussi de recourir à des images marquantes, de la violence en particulier, du siècle écoulé. On y trouve également un hommage appuyé au Danube, le couloir impérial qui relie l’Europe à l’Empire ottoman, et laisse voguer la poésie de ce petit pays d’Europe centrale qui n’aura cessé d’inspirer les Turcs.
Dans « İşte Yeniden » (page 55), on reconnaît la référence (Yarın Pazar) au poème « Bugün Pazar » de Nâzım auquel il vient intégrer sa lecture et traduction du cubain José Marti, impliquant sa voix engagée dans une poésie de combat :
« Demain c’est dimanche, je traduis les poèmes de José Marti entre surmenage et tristesse.
Jose Marti était petit comme une balle de revolver ; hargneux, compact et abandonné par sa femme »
Le rythme et la fièvre de la jeunesse sont là : comme dans « Bir Gün Mutlaka » (p. 18), à l’aube d’une révolution qui n’aura pas lieu, le poète ne baisse pas la garde.
De nombreux poèmes d’amour jalonnent également l’œuvre de Ataol Behramoğlu, avec une préférence pour l’évocation de l’amour naissant, la passion à ses débuts enflammés, qu’il salue avec toujours le même enthousiasme. Parfois le poème célèbre sa renaissance, alors qu’il semblait s’éteindre… Il montre aussi une capacité (dans les textes des années 2000) à traiter avec dépouillement différentes visions de la nature, les fleurs et les insectes, les rivières ou le passage des saisons, tout un paysage qui avait déserté la poésie turque après 1960, écrasée sous le poids des images surréalistes ou des idéologies entrées en guerre.
Le dernier poème de ce recueil bilingue (« İnsan Kendisinin Rüyasıdır ») revient sur la vie du poète :
« L’Homme est un rêve de lui-même
Traversant sa vie de bout en bout
Et quand le vécu se transforme en souvenirs
Ne restent alors que les traces d’un songe »
En toute simplicité et limpidité, il vient proposer une première conclusion au voyage sur terre de Ataol Behramoğlu.
Entretien avec Ataol Behramoğlu. Noémie Cadeau*
Noémie Cadeau : Vous êtes un écrivain prolifique, qui s’est essayé à de multiples genres littéraires. Cependant, c’est la poésie qui occupe la plus grande place de votre œuvre. Pourquoi ?
Ataol Behramoğlu : J’ai écrit de la poésie et du théâtre aussi. J’ai écrit deux pièces de théâtre durant les dernières années, sur des thèmes de notre histoire. La première pièce s’intitule Lozan[1](Lausanne) elle porte sur cette conférence historique qui s’est tenue à la suite de notre guerre d’Indépendance. La deuxième pièce, Ali Suavi[2], raconte la vie passionnante de cet homme qui faisait partie des jeunes Turcs et qui fut le directeur du lycée Galatasaray vers la fin du 19ème siècle. Sa vie fut tragique, il fut assassiné à l’époque du sultan d’Abdülhamid II. J’écris donc aussi du théâtre. Par ailleurs, je suis traducteur des pièces de Tchékhov : j’ai traduit aussi d’autres auteurs, mais, pour moi, les pièces de théâtre de Tchékhov ont une importance toute particulière.
Mais la poésie aussi, bien entendu. Depuis mon enfance, je suis un poète, je ne peux pas me définir autrement. Je connais l’importance de la poésie, mais je ne sais pas pourquoi je suis un poète. On prétend qu’à notre époque, la poésie a perdu un peu de son importance, mais je ne le crois pas. Il me semble qu’au fond, les gens ont toujours besoin de poésie. Je sais qu’on a besoin de la poésie, j’en témoigne. Lors de mes rencontres avec les lecteurs, les gens, en lisant mes poèmes, commencent à réfléchir, à concevoir, à digérer petit à petit. En fin de compte, je suis content d’être poète.
N C : Est-ce que pour vous la poésie est nécessairement orale, partagée ?
AB : Je pense que la poésie a toujours une dimension orale, sonore. Il y a bien-sûr, surtout dans la poésie française, une tendance à écrire des poèmes en prose, mais en regardant au fond de ces textes, on observe la dimension sonore et musicale des liaisons entre les mots. Sinon, ce ne serait pas de la poésie mais de la philosophie. Je ne crois pas que la poésie soit toujours fondée sur les métaphores : elles sont très importantes bien-sûr, mais la dimension sonore de la poésie l’est encore plus. Il s’agit de ressentir cette musicalité.
NC : Après avoir évoqué ces liens entre poésie et musique, nous pouvons maintenant évoquer les liens entre poésie et peinture. Pour vous, quelle importance est-ce que cela a de lier textes et images, comme dans votre récent recueil Köprülere şiirler (Poèmes aux ponts)[3] ?
AB : Mes recueils de poèmes ne sont pas toujours accompagnés de dessins. Mais dans le cas de ce livre, c’était important car le recueil porte sur les ponts. Je crois que les dessins peuvent renforcer la valeur des poèmes. Dans la poésie, se rencontrent à la fois le talent du peintre et la dimension sonore. C’est-à-dire qu’il y aura sans aucun doute des éléments picturaux et des descriptions dans un poème. Mais il ne faut pas exagérer : un poème, c’est un poème. Ce n’est ni une peinture, ni une pièce musicale. Il y a aussi les influences littéraires, du conte, du roman dans un poème. C’est le propre de la poésie : un poème, en général, porte les traces de tous les arts (peinture, musique, roman). Je songe à cet égard au Bateau ivre de Rimbaud, qui est l’un de mes poètes préférés. J’aime beaucoup la poésie de Rimbaud, de Baudelaire, de Verlaine. Un poème se caractérise par cette densité de sens qui s’exprime de façon synchronique.
NC : Votre poésie se caractérise justement par cette densité expressive. Comment concevez-vous votre écriture poétique ?
AB : Dans mes poèmes il y a deux tendances : une tendance lyrique, romantique, et une autre réaliste et sociale. La première tendance est davantage d’ordre individuel, tandis que la seconde est davantage sociale, collective, quelques fois didactique. La première tendance est essentielle pour moi, mais la deuxième est le devoir du poète, qui se doit de réfléchir aux questions sociales du monde, de son pays. Bien-sûr, on peut être lyrique en écrivant à propos des questions sociales. Je ressens toujours le besoin de parler directement aux cerveaux des gens, à leur logique. C’est un devoir, je crois. J’aime l’un et l’autre : je crois que ces deux genres ont leur place dans la littérature. Pour le deuxième versant de la poésie, on peut citer Berthold Brecht : c’est un poète, qui écrivait lui aussi dans les deux genres. Il a certains poèmes très lyriques, très romantiques. Mais en même temps, beaucoup de ses textes sont didactiques. Maïakovski, mais aussi notre Nâzım[4], sont des poètes de cette trempe. Au fond, je crois qu’il faut lier ces deux tendances dans l’univers du poète.
NC : Entre ces deux tendances, on retrouve aussi chez vous une poésie très accessible, proche du réel, sensible et en même temps nourrie de beaucoup de références littéraires, très érudites et cultivées.
AB : Certainement, car dans un poème, en général, il y a des choses réelles et surréelles, le subconscient a un rôle très important dans la poésie. Je crois qu’en général, partout dans le monde, même si les gens aiment la poésie, on explique très peu la poésie. C’est-à-dire que les gens écoutent, lisent la poésie, mais passent à autre chose sans y réfléchir. Lors de mes rencontres avec les gens, quelque fois, j’explique avec des mots simples mes poèmes. C’est la première fois que les gens rencontrent ce type d’explication poétique. Ils peuvent apprécier, ou ne pas apprécier. Pour vous donner un exemple concret, mon poème Aşk iki kişiliktir (L’amour est pour deux personnes)[5] est un poème écrit au moment où l’amie du poète est partie. Il est resté seul, il parle de l’amertume de sa solitude. La signification de « l’amour est pour deux » n’a rien de mathématique, on ne parle pas de chiffres : c’est une métaphore. Il y a certes des choses simples, mais aussi bien des dimensions complexes derrière un poème, qui sont d’ordre à la fois sociales et politiques. Il y a énormément de données à saisir.
C’est aussi le rôle de l’éducation : à partir de l’école primaire, il faut que les petits enfants apprennent des textes par cœur, puis réfléchissent au sens de ces œuvres. Autrement, on dit juste « j’aime la poésie », ou « je ne l’aime pas ». Souvent, je rencontre des jeunes qui me disent : « Je n’aime pas la poésie ». Mais après m’avoir écouté, ils me disent : « J’ai commencé à aimer la poésie ».
NC : Vous souhaitez donner aux jeunes le goût de la poésie, la faire entendre. Est-ce que lorsque vous écrivez-vous avez en tête un lecteur ?
AB : Le deuxième genre de poèmes, en général, s’écrit pour les gens, pour qu’ils comprennent ce qu’il se passe dans ce monde. Mais les poèmes du premier genre sont écrits par le poète pour lui-même. Un poète écrit des choses uniques, des choses personnelles. Mais quand je vois que ces choses personnelles se partagent avec des gens, je suis très content. Comme tous les écrivains, comme tous les artistes, j’aime cela. En plus, très souvent les lecteurs font des commentaires : ils comprennent le message mais y ajoutent quelque chose, ils commentent avec des mots différents ; c’est très enrichissant ! Je fais ainsi la rencontre des différentes interprétations proposées par les lecteurs. Le lecteur ajoute toujours quelque chose. Même les enfants, les écoliers, ont quelque chose à dire sur la poésie. Je rencontre de jeunes lecteurs dans les écoles, qui disent aussi des choses très intéressantes sur les poèmes.
NC : En parlant d’échange, et de transmission, pensez-vous qu’il est possible de traduire un poème ?
AB : La traduction est une très grande question. Traduire un poème, c’est presque la même chose qu’écrire un poème. C’est une création, une recréation même. Il faut prendre le texte, le lire, le comprendre. Mais qu’est-ce que l’on comprend ? Le sens. Mais d’où vient le sens du poème ? Est-ce que cela concerne seulement les idées ? Non, les idées viennent après la langue, la langue poétique, qui implique des sonorités, des liaisons entre les mots, entre les métaphores. Traduire un poème, c’est donc recréer dans une autre langue. C’est une recréation. On dit que seul un poète peut traduire de la poésie. C’est n’est pas forcément vrai : quelqu’un qui n’est pas poète, mais qui est très sensible à la poésie, qui est un fin connaisseur des langues, peut traduire.
Par exemple, dans le domaine de la traduction poétique en Turquie, il existe de grands intellectuels et hommes de lettres, comme Sabahattin Eyüboğlu. Il n’est pas poète, mais propose des traductions exemplaires. Ainsi, il a traduit le poème de Baudelaire, Recueillement : « Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille. / Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici : / Une atmosphère obscure enveloppe la ville / Aux uns portant la paix, aux autres le souci[6] », qui donne en turc : « Derdim, yeter, sakin ol, dinlen biraz artik ; / Akşam olsa diyordun, işte oldu akşam, / Siyah örtülere sardı şehri karanlık ; / Kimine huzur iner gökten kimine gam ». C’est la magie de la traduction : c’est presque plus beau en turc. Dans « Tu réclamais le soir », le verbe « réclamer » a quelque chose d’insistant en français. Je ne sais pas si le mot avait-il le même sens à l’époque de Baudelaire. Alors que « Akşam olsa diyordun » est plus poétique. Puis, dans l’expression « Siyah örtülere », pourquoi pas ne pas avoir mis « örtü » au singulier ? Pourquoi avoir choisi un pluriel ? En français, ce n’est pas au pluriel, il est écrit : « une atmosphère obscure ». Mais si on connaît bien le turc, on sait qu’il y a des situations où l’on utilise la forme plurielle pour intensifier le sens. Par exemple, dans les malédictions ou les souhaits. Cela donne une plus grande force au sens. Pour traduire un poème, il ne s’agit pas de traduire mot à mot.
Laissez-moi vous donner un autre exemple : il s’agit d’une traduction de Melih Cevdet Anday, un grand poète turc – l’un des seuls. Il propose une traduction du poème Annabel Lee d’Edgar Allan Poe, où il est écrit : « It was love more than love[7] ». Si on traduit littéralement en turc, cela donne : « Bu aşktan daha fazla bir şeydir ». Mais il a choisi de traduire par « Sevdalı değil kara sevdalıydık » : c’est une expression très littéraire, littéralement c’est « l’amour noir », qui signifie une grande passion. Je ne parle pas d’adaptation : adapter, c’est autre chose, mais de recréation. J’ai traduit par exemple la poésie russe du 19ème siècle et du début du 20ème siècle. Il y a des poèmes que j’ai traduits, que j’aime comme des poèmes que j’aurais écris.
NC : Est-ce que pour vous la traduction est une œuvre à part entière ?
AB : Exactement. J’ai édité une anthologie de poésie contemporaine russe, réunissant des textes des poètes du début du 20ème siècle (Akhmatova, Essénine, Maïakovski)[8]. Mais j’ai aussi traduit les poètes classiques du 19ème siècle comme Pouchkine et Lermontov. Je suis le premier traducteur turc de poésie russe à avoir traduit des recueils en entier. Les œuvres classiques de la littérature russe ont été traduites dans les années 1940, comme tous les classiques du monde en Turquie. C’était le projet du Ministère de la culture de cette époque, qui voulait traduire toutes les grandes œuvres de la littérature mondiale, mais toutes ces œuvres étaient des classiques en prose. À partir de 1960, on a commencé à traduire la poésie mondiale. J’ai donc été le premier à traduire la poésie russe dans des recueils entiers, comme La Dague de Lermontov. En effet, à cette époque-là en Turquie, c’était rare, un poète qui connaissait le russe. Par contre, il y avait bien des poètes français qui connaissaient le russe, comme Aragon. Mais il a davantage traduit de la prose que des poèmes. Je suis le premier traducteur qui a traduit des recueils poétiques dans leur entièreté. Bien-sûr, quelques poèmes de Pouchkine, de Lermontov aussi, avaient été traduits, mais pas des recueils dans leur ensemble.
NC : D’où vous est venu cet intérêt pour la langue et la littérature russe ?
AB : Quand j’étais lycée, j’ai lu les classiques russes, mais aussi les écrivains français, américains. J’ai lu Antoine de St-Exupéry, John Steinbeck, Hermann Melville. J’avais lu des œuvres de littérature étrangère, dont quelques œuvres de Dostoïevski et surtout quelques livres de Gorki, ainsi qu’un roman de Pouchkine. Mais je ne pourrais pas dire qu’ils étaient plus essentiels pour moi ; c’était des auteurs que j’aimais, parmi les autres. Quand j’ai fini le lycée, j’ai choisi d’étudier à la faculté de droit. Mais, très vite j’ai compris que ce n’était pas ma vocation car je m’intéressais à la théorie littéraire, à la philosophie. Je savais que je voulais étudier dans une langue étrangère. À cette époque, en Turquie, il n’y avait pas beaucoup de traductions dans les domaines de la philosophie et de la théorie littéraire contemporaines. Aujourd’hui, on peut trouver en turc des œuvres dans tous les domaines de la littérature, de la philosophie contemporaine. Mais quand j’étais très jeune, au début des années 1960, il n’y avait pas beaucoup de traductions dans ces domaines. J’ai choisi la philologie russe parce que c’était facile d’entrer dans ce département à l’université d’Ankara : on commençait à apprendre le russe de zéro. En plus, bien-sûr, en tant que jeune révolutionnaire, j’avais une sympathie pour l’Union soviétique. Alors j’ai choisi le russe. Très vite, j’ai commencé à apprendre : j’avais le désir de pouvoir lire dans cette langue les textes dont je viens de parler. Lorsque j’étais étudiant en dernière année à l’université, j’avais déjà traduit quelques poèmes de Lermontov et la première pièce de Tchékhov, Ivanov[9]. Et j’ai continué comme cela.
Au début des années 1970, j’ai quitté mon pays pour aller vagabonder dans le monde. J’ai été en Angleterre durant quelques mois, j’ai travaillé comme garçon dans un bistrot. Après je me suis arrêté à Paris pour des raisons personnelles et j’ai commencé à apprendre de zéro le français en 1971 à l’Alliance française. J’ai vécu en France durant deux ans. C’est l’époque à laquelle nous avons fondé, avec Mehmet Ulusoy – un grand homme de théâtre de ma génération – le Théâtre des Libertés. Notre premier texte s’appelait Légendes à venir (Geleceğe Masallar)[10]. J’ai écrit quelques textes pour ce théâtre.
Ensuite, j’ai été invité en Russie en 1972, comme traducteur de littérature russe. Après quelques temps, j’ai été de nouveau invité, la même année, pour l’anniversaire de Nâzım Hikmet. Là-bas, j’ai demandé une bourse à l’Union des écrivains soviétiques. Ma demande a été acceptée, donc durant deux ans, j’y ai fait des études de littérature russe (l’équivalent d’un DEA), dans le cadre de l’Université d’État de Moscou. Depuis, de temps en temps, je suis invité en Russie, en tant que poète ou traducteur.
NC : Les années 1970 sont aussi la grande époque de solidarité entre les gauches, des mouvements tiersmondistes, anticolonialistes. Avez-vous souvenir de ces organisation politiques ?
AB : Je peux évoquer cette époque historique à partir de ma propre expérience. Quand j’étais lycéen, j’étais humaniste, on ne peut pas vraiment dire que j’étais socialiste. Mais à Ankara, au début des années 1960, après le Coup d’Etat militaire du 27 mai 1960, il y avait une atmosphère très ouverte, très démocratique, très libre. En ce temps-là a été fondé le Türkiye İşçi Partisi (TIP), le Parti des travailleurs de Turquie. Ce parti est très important, car les intellectuels socialistes des années 1940 et 1950 qui avaient été arrêtés, emprisonnés, comme Behice Boran, se sont alliés avec les leaders des syndicats ouvriers. Ils ont fondé et organisé ce parti ensemble : les intellectuels du pays et les mouvements ouvriers. C’est la première fois en Turquie qu’un parti socialiste a été légalement fondé et a pu vivre quelques années. J’ai tout de suite été membre de ce parti ; j’avais vingt ans. Encore aujourd’hui, je me sens toujours membre de ce parti. Pour moi, ce mouvement était très important. Mais malheureusement, après quelques années, en raison des divergences au sein du parti et de la répression étatique, le TIP a été divisé. Puis, le Coup d’État militaire de mars 1971 a mis fin à cette période.
Dans les années 1970, je suis parti à l’étranger, mais je continuais à lutter contre les coups d’États militaires fascistes en Turquie, comme celui du 12 mars 1971. J’étais toujours dans la vie politique pour lutter. Quand je suis rentré en Turquie, j’ai commencé à écrire mes poèmes, à publier mes livres. En même temps, j’étais le secrétaire général de l’Union des écrivains turcs. Mais le coup d’état militaire du 12 septembre 1980 a tout fait basculer. J’ai été arrêté en 1982, tout comme d’autres intellectuels en Turquie, accusés d’être les fondateurs de l’Association Turque pour la Paix (Türkiye Barış Derneği). J’ai fait dix mois de prison militaire, mais le procès était truqué. Lors du dernier procès, auquel je ne me suis pas rendu, j’ai été condamné à huit ans de prison. Je me suis alors caché en Turquie et j’ai quitté le pays grâce à un faux passeport. C’est alors que je suis venu à Paris, où je suis resté jusqu’en 1990. J’ai continué à combattre le fascisme en Turquie, en même temps que je reprenais des études à l’Université (INALCO). J’ai fondé la revue Anka[11] avec d’autres amis, dont Michel Bozdémir. Aujourd’hui, je suis un poète, un écrivain, j’écris des articles dans la presse, notamment dans le journal Cumhurriyet. Je me demande ce qu’il va se passer dans ce pays. Je suis bien entendu très inquiet pour la Turquie.
NC : Quel est aujourd’hui votre regard sur l’actualité contemporaine en Turquie ?
AB : Je crois que la Turquie est un pays très intéressant et compliqué, parce que les racines de ce pays viennent de plusieurs sources. Pendant des siècles, l’Empire ottoman a été une puissance très importante. La République turque, si elle a voulu être un pays nouveau, garde des héritages de cette histoire, de cette lointaine époque historique. Mais je crois que ce pays n’a pas conscience de lui-même. À gauche comme à droite, les socialistes, les nationalistes, les gens simples, ne savent pas, n’ont pas de conscience nationale réelle. Les gens aujourd’hui répètent par cœur des discours convenus sur la Turquie. Ce n’est ni fondé, ni analysé, ni réfléchi.
En résumé, si la Turquie réalise son destin, elle peut être un modèle, non seulement pour les pays musulmans, mais aussi pour les pays occidentaux. Car les valeurs humanistes, démocratiques, qui ont pris leurs racines dans les pays occidentaux, y ont un peu vieilli. En Turquie, au contraire, ces idées sont toujours jeunes et nouvelles. Par exemple, Rousseau, Montesquieu Diderot, Voltaire et les autres philosophes des Lumières, sont des références historiques pour les Français, tandis qu’en Turquie ces idées restent neuves et conservent une importance concrète. Il faut que la Turquie se trouve elle-même, comprenne l’importance de son existence. Je ne suis pas du tout conservateur, au contraire, je suis plutôt internationaliste, mais il faut que la Turquie réalise son originalité. Aujourd’hui, les gens n’ont pas d’idée de leur pays, ni conscience de leur histoire, ni des problèmes actuels, nationaux comme internationaux. Voilà ce que je pense de mon pays, mais je ne suis pas pessimiste : je crois que la Turquie, comme le monde entier, trouvera son chemin vers la démocratie et le socialisme.
Bibliographie En Turc Poésie
Behramoğlu, Ataol, Aşk iki kişiliktir [L’amour est pour deux personnes], (1990), Istanbul, Tekin Yayınevi, 2014.
— Bebeklerin ulusu yok [Les enfants n’ont pas de nation], Istanbul, Adam Yayınları, 1988.
— Beyaz, ipek gibi yağdı kar [Une neige blanche comme la soie], Istanbul, Cumhuriyet Kitapları, 2008.
— Bir ermeni general [Un général arménien], Istanbul, Toplum Yayınevi, 1965.
— Dörtlükler [Les quatrains], (1983), Istanbul, ABeCe Yayınları, 1991.
— Eski Nisan [Avril ancien], Istanbul, Adam Yayınları, 1987.
— Hayata uzun veda [Un long adieu à la vie], Istanbul, Tekin Yayınevi, 2008.
— İki ağıt [Deux complaintes], Istanbul, Evrensel Basım Yayın, 2007.
— Kizima mektuplar [Lettres à ma fille], Istanbul, Yeni Türkü, 1985.
— Köprülere Şiirler [Poèmes aux ponts], Istanbul, Tekin Yayınevi, 2021.
— Kuşatmada [Assiégé], Istanbul, Cem Yayınevi, 1978.
— Mustafa Suphi destani [L’épopée de Mustafa Suphi], Istanbul, Agaoglu Yayınevi tesisleri, 1979.
— Ne yağmur… ne şiirler…, [Ni la pluie…ni la poésie…], (1976), Istanbul, Cem Yayınevi, 1981.
— Okyanusla ilk karşılaşma [Première rencontre avec l’océan], Istanbul, Tekin, 2008.
— Sevgilimsin [Tu es mon amoureuse], (1993), Istanbul, Epsilon Yayıncılık, 2006.
— Türkiye, üzgün yurdum, güzel yurdum [Turquie, mon triste pays, mon beau pays], Istanbul, Yeni Türkü, 1985.
— Yarım yüzyıldan şiirler [Poèmes d’un demi-siècle], Istanbul, Tekin Yayinevi, 2016.
— Yaşadıklarımdan öğrendiğim bir şey var [Quelques choses que j’ai apprises de mes expériences], (1991), Istanbul, Tekin Yayınevi, 2010.
— Yeni aşka gazel [Gazel à mon nouvel amour], (2002), Istanbul, Epsilon, 2006.
— Yolculuk, özlem, cesaret, ve kavga şiirleri [Poèmes de voyage, de nostalgie, de courage et de combat], Istanbul, Cem Yayınevi, 1974.
Théâtre
Behramoğlu, Ataol, Ali Suavi, Istanbul, Tekin Yayınevi, 2019.
— İyi bir yurttaş aranıyor [On cherche un bon citoyen], Istanbul, Yazko, 1983.
— Toplu oyunlar: Lozan, İyi bir yurttaş araniyor [Pièces complètes : Lausanne, On cherche un bon citoyen], Istanbul, Boyut Yayınları, 1993.
Essais
Behramoğlu, Ataol, Aziz Nesin’li anılar [Souvenirs d’Aziz Nesin], Istanbul, Evrensel Basım Yayın, 2008.
— Başka bir açı [Un autre angle], Istanbul, Gendaş Kültür, 2001.
— Başka gökler altında [Sous d’autres cieux], (1996), Istanbul, Cumhuriyet Kitapları, 2010.
— Benim Prens Adalarım [Mes îles des Princes], Istanbul, Heyamola Yayınları, 2009.
— Biriciktir Aşk [L’amour est unique], (2005), Istanbul, Tekin Yayınevi, 2017.
— Gerçeklik duygusunun kaybolması [La perte de sens de la réalité], Istanbul, Gendaş Kültür, 2001.
— İki ateş arasında: sürgün yazıları [Entre deux feux : écrits d’exil], Istanbul, Boyut Yayınevi, 1989.
— Kendin olmak ya da olmamak [Être soi-même ou ne pas être], Istanbul, İnkılap, 2003.
— Kimliğim Insan [L’humain, mon identité], (1999), Istanbul, Tekin Yayinevi, 2014.
— Mekanik gözyaşları [Les larmes mécaniques], Istanbul, Cem Yayınevi, 1990.
— Mutlu ol Nâzim [Sois heureux Nâzim], Istanbul, 1990.
— Nâzım Hikmet: « tabu ve efsane » [Nâzim Hikmet : tabou et légende], Istanbul, Evrensel Basım Yayın, 2008.
— Sivil darbe [Coup d’État civil], (2009), Istanbul, Tekin Yayınevi, 2018.
— Şiirin dili-anadil [La langue de la poésie-la langue maternelle], (1995), Istanbul, Evrensel Basım Yayın, 2007.
— Utanıyorum: kültür ve siyaset, ideoloji ve ahlâk, aydın sorumluluǧu ve örgütlenme üzerine [J’ai honte : culture et politique, idéologie et moralité, la réponsabilité des intellectuels et l’engagement], Istanbul, Çaǧdaş Yayınları, 1996.
— Yaşayan bir şiir [Une poésie vivante], (1986), Istanbul, Evrensel Basım Yayın, 2007.
— Yeni Ortaçağın saldırısı [Une attaque du nouveau Moyen-Âge], Istanbul, Dünya Kitapları, 2004.
— Yurdu teninde duymak [Sentir la patrie dans la peau], Istanbul, Cumhuriyet Kitapları, 2008.
Anthologies
Behramoğlu, Ataol, Çağdaş Rus şiiri antolojisi [Anthologie de poésie russe moderne], Istanbul, Adam Yayınları, 1997.
— İnce, Özdemir, Dünya şiiri antolojisi [Anthologie de poésie mondiale], Istanbul, Sosyal yay., 1997.
— « Uçur diye ey aşk… »: Türk ve dünya edebiyatından tematik aşk şiirleri seçkisi [« Pour que tu voles Ô amour… » : choix de poésies amoureuses de la littérature turque et mondiale], Istanbul, Epsilon Yayınları, 2007.
— Son yüzyıl büyük Türk şiiri antolojisi: (1950’lerden 2000’lere) [Grande antologie de la poésie turque du dernier siècle], Istanbul, Sosyal Yayınlar, 2013.
Recueils d’articles
— Rus edebiyatının öğrettiği [Ce que nous enseigne la littérature russe], Istanbul, Evrensel basım yayın, 2008.
— Rus edebiyatı yazıları: XIX. ve XX. Yüzyıllar [La littérature russe des XIXème et XXème siècles], Istanbul, Université d’Istanbul, 2001.
En français (écrits originaux et traductions)
Poésie
Behramoglu, Ataol, Un printemps assiégé, Moëz Majed (trad.), Paris, Le Merle Moqueur, 2021.
— « Sonnet », Entre les murailles et la mer, Paris, Éditions François Maspéro, 1982. Réédition : J’ai vu la mer. Anthologie de la poésie turque contemporaine, Saint-Pourçain-sur-Sioule, Bleu Autour, 2009.
— « Sonnet », Europe, n° 655‑656, 1983.
— « Poèmes », Dossier « Voix d’Istanbul », Europe,n° 1019, 2014.
— « Blanche la neige est tombée comme la soie », « Les Voix », « Hommage à Strati Kerakas », Anka n° 4, 1988.
— « La Rue de la Mosquée aux Cerises », Anka, n° 7-8, 1989.
— « Vendredi désert », « Samedi perdu », « Triste dimanche », « Poème au seuil des quarante ans », « L’Été », Anka,n° 18-19, 1993.
— « Poèmes », dans Jean Pinquié (éd.), Anthologie de la poésie turque contemporaine, Paris, Publisud, 1991.
Cengiz, Metin, Dix-sept poètes turcs contemporains : Ahmet Oktay, Cevat Capan, Özdemir Ince, Fikret Demirag, Ataol Behramoglu, Güven Turan, Mehment Taner, Gülseli Inal, Sina Akyol, – Ayten Mutlu, Tugrul Tanyol, Metin Cengiz, Hüseyin Ferhad, Enver Ercan, Yavuz Özdem, Mustafa Köz, Küçük Iskender, Paris, Éditions L’Harmattan, 2009.
Traductions de poèmes disponibles en ligne :
http://revueayna.com/portfolio/ataol-bergamoglu/#ataol-bergamoglu
Essais
Behramoğlu, Ataol, « Nâzım Hikmet et la poésie turque moderne », dans Timour Muhidine et Michel Bozdemir (dir.), Nâzım Hikmet, héritage et modernité, Paris, Éditions Petra, 2010.
— « Entre deux feux », Anka, n° 1, 1986-87.
— « Les Nouvelles de Sabahattin Ali », dans Ataol Behramoğlu (dir.), Hommage à Sabahattin Ali, Anka, n° 2‑3, 1987.
— « Les phases de la poésie turque contemporaine depuis la fin du siècle dernier jusqu’à nos jours », Anka, n° 4, 1988.
— « Yunus Emre et Dante Alighieri », Anka, n° 15, 1991.
— « Comment j’écris mes poèmes », Anka, n° 18-19, 1993.
— « Quelques mots sur la poésie turque moderne », dans Ataol Behramoğlu (dir.), La poésie turque contemporaine : De Dağlarca aux années 90, Anka, n° 24-25,1994.
— « Les Sources d’inspiration de Nâzım Hikmet : les modèles indigènes et étrangers », Anka, n° 20‑21, 1993.
— « Entretien avec Tchinguiz Aïtmatov », Les littératures d’Asie Centrale, Anka,n° 22-23, 1994.
— « Sous la statue de Pouchkine », Europe,n° 878-879, 2002.
Critique
Mignon, Laurent, Behramoğlu, Ataol, Andrews, Walter G., « Introduction: A Poet In Dialogue With The World », dans I’ve learned some things, Austin, University of Texas Press, 2008.
Para, Jean-Baptiste, « Introduction à la poésie d’Ataol Behramoğlu », Anka, n° 24‑25, 1994.
[1] Ataol Behramoğlu, Toplu oyunlar: Lozan, İyi bir yurttaş araniyor, Istanbul, Boyut Yayınları, 1993.
[2] Ataol Behramoğlu, Ali Suavi, Istanbul, Tekin Yayınevi, 2019.
[3] Ataol Behramoğlu, Köprülere Şiirler, Tekin Yayinevi, Istanbul, 2021.
[4] En 1985, Ataol Behramoğlu réalisa un DEA (Diplôme d’études approfondies) au Centre de poétiques comparée de la Sorbonne à Paris sur Nâzım Hikmet et Vladimir Maïakovski.
[5] Ataol Behramoğlu, Aşk iki kişiliktir, Istanbul, Adam Yayınları, 1999.
[6] Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, Paris, Larousse, 2007.
[7] Edgar Allan Poe, Annabel Lee, Londres, HarperCollins, 2014.
[8] Ataol Behramoğlu, Çağdaş Rus şiiri antolojisi, Istanbul, Adam Yayınları, 1997.
[9] Anton Cehov, Buyuk oyunlar. Ivanov – Orman cini – Vanya Dayi – Marti – Uc kizkardes – Visne bahcesi, Türkiye Is Bankasi Kultur Yayinlari, Istanbul, 2006, trad. de Ataol Behramoğlu.
[10] Ataol Behramoğlu, « Légendes à venir » [en ligne], Les Archives du Spectacle, URL : https://www.lesarchivesduspectacle.net/?IDX_Spectacle=19968, consulté le 13 décembre 2021.
*Noémie Cadeau: est élève de l’ENS Lyon, agrégée de lettres modernes. Elleprépare un Master 2 de littérature comparée et est inscrite en licence de turc à l’Inalco. Après un master 1 consacré à la revue Lotus, son master 2 porte sur Les solidarités littéraires des intelligentsias communistes turques et françaises à l’époque de la guerre froide. Elle envisage, pour sa thèse, de poursuivre dans cette voie et de travailler sur L’Internationalisme littéraire des écrivains communistes turcs : récits de solidarités avec l’Union soviétique et les réseaux afro-asiatiques sous la direction de Yves Clavaron (Université Clermont-Auvergne) et de Timour Muhidine (Inalco).