« La visite du président israélien, Isaac Herzog, en Turquie, la première d’un haut responsable israélien depuis quinze ans, marque un tournant dans les relations longtemps houleuses entre les deux pays » dit Courrier International.
C’est une nouvelle page qui semble s’ouvrir dans les relations entre Israël et la Turquie. Ce mercredi 9 mars, le président israélien Isaac Herzog a débuté une visite pour deux jours à Ankara, une première depuis quinze ans, dans un contexte de guerre en Ukraine, de crise économique aiguë en Turquie et de redéfinition des alliances au Moyen-Orient.
“C’est la première fois qu’un dirigeant israélien se rend en Turquie depuis 2008, la dernière visite d’un président israélien remonte quant à elle à 2007”, indique Jonathan Lis dans le quotidien israélien Ha’Aretz.
Mais que s’est-il passé depuis 2008 ? La Turquie et Israël entretenaient auparavant d’excellentes relations, rappelle le quotidien turc Habertürk. En particulier dans les années 1990, durant lesquelles les deux pays ont notamment développé leurs relations en matière de défense. Les liens sont restés au beau fixe après l’arrivée au pouvoir de l’AKP d’Erdogan en 2002, avant de se détériorer brusquement durant la guerre menée par Israël contre la bande palestinienne de Gaza, en 2008 et 2009.
En 2009, Erdogan claque la porte du Forum économique de Davos, après avoir pris à partie le président israélien Shimon Peres, une sortie qui jouera beaucoup sur sa popularité dans le monde arabe. L’année suivante, dix activistes turcs qui apportaient par voie maritime de l’aide humanitaire à Gaza, alors sous blocus, sont tués par les forces de sécurité israéliennes dans un assaut sur leur navire, le Mavi Marmara.
Enfin, “une dernière crise avait éclaté en mai 2018, après que l’armée israélienne avait abattu 61 Palestiniens lors de manifestations de masse le long de la clôture de séparation entre Gaza et Israël”. La Turquie avait alors expulsé l’ambassadeur d’Israël à Ankara et rappelé son ambassadeur à Tel-Aviv.
Briser l’isolement diplomatique croissant
La normalisation des relations entre les deux pays aujourd’hui s’explique par l’isolement croissant de la Turquie sur la scène internationale ces dernières années et, à l’opposé, par le fait qu’Israël a réussi à sortir de son isolement régional, notamment avec les accords d’Abraham (traités de paix entre Israël et deux pays du Golfe) estime l’universitaire Erhan Kelesoglu, interviewé par le quotidien turc de gauche Evrensel :
À cause de son soutien aux frères musulmans, la Turquie s’était mis à dos l’Égypte, les Émirats et l’Arabie Saoudite. La situation était devenue très tendue dans la région et un bloc commençait à se former face à la Turquie qui a souhaité apaiser la situation. Par ailleurs, dans le contexte de la crise économique que connaît le pays, une nouvelle coopération avec les riches pays du Golfe semblait la bienvenue pour Ankara.”
Même son de cloche du côté d’un éditorialiste du quotidien turc d’opposition nationaliste Sözcü, pour lequel ce rapprochement a été motivé par la volonté de la Turquie de sortir de son isolement diplomatique :
« Nous nous sommes retrouvés seuls au monde, et nous avons mis en pratique ce célèbre proverbe : Celui qui tombe à l’eau s’accroche même à un serpent.”
Après avoir enterré la hache de guerre avec les pays du Golfe, la Turquie s’est ainsi tournée vers Israël, nouvel allié des riches monarchies pétrolières dans la région, explique l’universitaire.
En quête de soutien, Erdogan reçu à bras ouverts aux Émirats
Outre les enjeux géopolitiques, “un tandem israélo-turc devrait permettre à Ankara de renouer des relations commerciales vitales avec les États du Golfe”, analyse aussi le journaliste Itamar Eichner, du quotidien israélien Yediot Aharonot, alors qu’un rapprochement a été récemment entamé avec Abou Dhabi.
Enjeux économiques et énergétiques
Ankara attend beaucoup de cette nouvelle page également dans le secteur de l’énergie, confirme l’universitaire cité par le journal turc Evrensel. D’importants gisements de gaz ont été découverts au cours de la décennie écoulée dans les eaux israéliennes, alors que la Turquie reste largement dépendante de la Russie et de l’Iran sur le plan énergétique.
Les perspectives de coopération dans ce domaine ont été encouragées, par ailleurs, par le récent abandon par les États-Unis du projet EastMed, visant à acheminer du gaz liquéfié vers l’Europe via un réseau de gazoducs sous-marins reliant Israël à Chypre et à la Grèce, en contournant la Turquie.
Ankara compte aussi sur son partenaire israélien pour réparer ses mauvaises relations avec Washington, estime l’universitaire.
Le quotidien turc d’opposition nationaliste Sözcü considère lui aussi que les États-Unis pèsent dans cette réconciliation, alors que l’invasion russe de l’Ukraine nourrit à nouveau une logique de blocs d’alliances comme au temps de la guerre froide.
Les Américains poussent pour que leurs partenaires dans la région, de la Turquie aux pays du Golfe en passant par Israël, améliorent les relations qui les lient ».
Courrier International, 9 mars 2022, Photo/Haim Zach/GPO