« La visite à Jérusalem du ministre turc des affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, n’a pas débouché sur un échange d’ambassadeurs entre les deux pays, brouillés depuis des années à propos de la question palestinienne » rapporte Louis Imbert et Marie Jégo dans Le Monde du 26 mai 2022.
Censée ouvrir un « nouveau chapitre » dans les relations dégradées entre la Turquie et Israël, la visite à Jérusalem, mardi 24 et mercredi 25 mai, de Mevlüt Çavusoglu, le chef de la diplomatie turque, n’a pas produit d’avancées significatives, preuve que la normalisation entre ces deux Etats avance à très petits pas.
Brouillés depuis des années à propos de la question palestinienne, Israël et la Turquie tentent de renouer les liens. Après la visite à Ankara et à Istanbul du président israélien, Isaac Herzog, en mars, le séjour à Jérusalem de M. Çavusoglu, le premier en quinze ans d’un haut responsable turc, devait marquer un tournant. Un échange d’ambassadeurs était attendu car, depuis 2018, la représentation diplomatique est entre les mains de chargés d’affaires. Elle le restera. A l’issue de leurs entretiens, mercredi, le ministre turc et son homologue israélien, Yaïr Lapid, ont déclaré vouloir renforcer la coopération économique, poursuivre le dialogue, mais sans annoncer leur intention d’échanger des ambassadeurs.
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« Nous avons mené des pourparlers fructueux, francs et déterminés, et nous nous sommes mis d’accord sur un nouveau cadre pour nos relations », a déclaré le chef de la diplomatie israélienne lors de la conférence de presse conjointe, mercredi. M. Lapid n’a pas caché la nature houleuse des relations avec la Turquie et a minimisé ses attentes. « Nous avons toujours su revenir au dialogue et à la coopération », a-t-il souligné. Avant de se faire l’architecte, en juin 2021, de la fragile coalition gouvernementale qu’il tient encore à bout de bras, le ministre avait milité pour qu’Israël réduise le niveau de ses relations diplomatiques avec la Turquie de Recep Tayyip Erdogan.
Echanges commerciaux en hausse
Avant la visite du président Herzog en Turquie, en mars, un responsable du gouvernement avait déjà prévenu que ce rapprochement serait mené « à la manière de deux porcs-épics qui font l’amour – avec prudence. » Les autorités israéliennes ont indiqué ne pas être excessivement pressées de renvoyer un ambassadeur à Ankara.
Les deux parties se sont entendues pour reprendre les travaux d’une commission économique conjointe. Le volume des échanges commerciaux a atteint plus de 7,5 milliards d’euros en 2021 et les chiffres du premier trimestre de 2022 sont à la hausse.
En proie à des difficultés économiques, à une inflation record (70 % sur un an en avril), à la dépréciation de sa monnaie et à un manque cruel d’investissements, la Turquie tente de rompre son isolement en normalisant ses relations avec plusieurs pays desquels elle s’était éloignée, notamment Israël, l’Egypte, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite.
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Pour autant, Ankara continue de manifester son soutien à la cause palestinienne. M. Çavusoglu a ainsi rencontré mardi des responsables palestiniens en Cisjordanie, auxquels il a réitéré le soutien de la Turquie à leur lutte pour un Etat indépendant aux côtés d’Israël. « Nous pensons que la normalisation de nos relations aura également un impact positif sur la résolution pacifique du conflit », a déclaré le chef de la diplomatie, qui a prié à la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem et visité Yad Vashem, le mémorial israélien de l’Holocauste.
L’Etat juif se veut sans illusions face à M. Erdogan : il craint sa réaction à une nouvelle crise ouverte dans les territoires palestiniens occupés, notamment une éventuelle guerre à Gaza. Le gouvernement rappelle que la Turquie héberge de hauts responsables du Hamas, en particulier Saleh Al-Arouri, responsable du mouvement pour la Cisjordanie et Jérusalem, dont le rôle supposé dans les récents heurts du mois de ramadan a été longuement commenté.
Le Monde, 26 mai 2022, Louis Imbert & Marie Jégo, Photo/Asi Efrati/GPO