En Turquie, une inscription millénaire révèle un champion de lutte de l’Empire romain /Mathilde Ragot / GEO

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Une inscription découverte à Anemurium célèbre le lutteur Kaikilianos, et souligne l’importance de cette ancienne ville gréco-romaine comme centre de compétitions sportives il y a 2 000 ans.

GEO, le 21 octobre 2024

Située sur une colline au pied de la péninsule qui forme le point le plus méridional de la Turquie, Anamur (province de Mersin), l’ancienne ville gréco-romaine d’Anemurium surplombait la mer Méditerranée, face à Chypre.

Il y a environ 2 000 ans, un lutteur nommé Kaikilianos y vivait, pratiquant son sport avec brio… si bien que treize lignes lui faisant honneur ont été inscrites dans les thermes du port, révèle Türkiye Today le 17 octobre 2024. Une inscription de 120 centimètres de haut sur 50 centimètres de large, gravée sur ce que les archéologues estiment être un autel ou une base de statue, pesant une demi-tonne.

Anemurium : héritage de la Cilicie antique

Anemurium, fondée à l’époque hellénistique (323-32 av. J.-C.), est intégrée à l’Empire romain sous la domination du général romain Pompée, qui a vaincu les pirates en contrôlant jusqu’ici les côtes. Dans la région romaine de la Cilicie, la cité devient un important centre commercial sur ce pan sud de la Turquie.

À son apogée entre les Ier et IIIe siècles apr. J.-C., elle est dotée de nombreuses infrastructures : des thermes, un théâtre, des aqueducs et une vaste nécropole, témoignant de son dynamisme. Puis, la ville antique décline lentement du fait d’incursions répétées des tribus voisines, des Sassanides puis des Arabes, ainsi que plusieurs tremblements de terre. Occupée sans interruption jusqu’au VIIe siècle apr. J.-C., elle est progressivement abandonnée, jusqu’à n’être qu’un champ de ruines une centaine d’années plus tard.

Plus de deux millénaires après, les vestiges de ce qui est désormais dénommé Eski Anamur (le « vieux Anamur »), un site archéologique de 240 hectares, sont fouillés depuis 2018 sous la direction du Pr Mehmet Tekocak, de l’université Selçuk de Konya.

Diverses parties de l’ancienne cité prospère, comme le centre-ville et les thermes, ont déjà été excavées. L’an dernier était ainsi découverte une statue représentant sans doute la déesse romaine de la santé – Salus ou Valétudo, cela n’a pas été précisé par les spécialistes. À l’intérieur d’une structure connue sous le nom de Harbour Bath (« bain du port ») a maintenant été décelée l’inscription.

La lutte, sport emblématique dans l’Empire

À travers ses lettres gravées, les archéologues ont appris que tous les cinq ans, un dignitaire local nommé Flavianus organisait une compétition en son nom. Lors de la seconde édition, le vainqueur ne fut nul autre que Kaikilianos, athlète inscrit à la prospérité dans les bains.

Autrefois, une statue à son effigie se trouvait probablement sur le socle. Outre commémorer sa victoire, qui fût peut-être qu’une parmi une longue liste, la gravure montre à quel point au IIe siècle apr. J.-C., la lutte était un sport d’importance dans la région, soulignent les experts.

Plus largement dans l’Empire, la discipline connue sous le nom de lucta occupe une place importante tant sur le plan culturel que social. Inspirée des pratiques grecques des Jeux olympiques, elle était pratiquée dans des établissements appelés palaestrae, où les jeunes hommes s’entraînaient à développer leur force et leur discipline, qualités essentielles pour devenir de bons soldats. D’intenses et violents combats au corps à corps pouvaient aussi être intégrés aux munera, les spectacles de gladiateurs attirant d’immenses foules dans les arènes.

La lutte avait aussi une dimension sociale significative. Les lutteurs célèbres, qu’ils soient citoyens, esclaves ou affranchis, pouvaient acquérir un statut et une renommée qui leur permettaient de transcender leur condition d’origine.

Ces athlètes, à l’image de Kaikilianos, devenaient souvent des héros locaux, admirés par le public. Il faut toutefois préciser que la lutte « gréco-romaine » actuelle, codifiée au XIXe siècle – et dans laquelle les sportifs ne peuvent utiliser que leurs bras et n’attaquer que le haut du corps de leurs adversaires – n’a en réalité rien à voir avec la lutte antique, moins standardisée… et semble-t-il bien plus violente.

Un centre d’événements sportifs antiques

Plusieurs découvertes et gravures suggéraient déjà que durant l’Antiquité, Anemurium était un centre important de formation athlétique« Cette inscription […] montre que la ville était dynamique à cette époque, avec des événements organisés dans le domaine du sport, notamment la lutte », développe auprès des médias locaux Ali Hamza Pehlivan, gouverneur de la province de Mersin.

Nous savons d’après les archives historiques et les découvertes archéologiques que des compétitions, à la fois locales et olympiques, avaient lieu à cette époque. Récompenser les athlètes qui se distinguaient dans ces compétitions met en lumière l’importance accordée au sport.

Il ajoute que ces trouvailles devraient contribuer à faire d’Anemurium une destination clé pour le tourisme culturel. Quatre de ses biens sont déjà inscrits sur la liste indicative du patrimoine mondial de l’UNESCO. Un projet est en cours pour que la cité intègre la liste permanente.

En Turquie, une inscription millénaire révèle un champion de lutte de l’Empire romain« La première phase du projet d’aménagement environnemental d’Anemurium a commencé, comprenant un centre d’accueil, des installations sociales et un parking, déclarait en juin 2024 le gouverneur à Anadolu (Anadolu Ajansı), agence de presse du gouvernement turc. L’objectif est d’offrir un meilleur environnement aux visiteurs tout en poursuivant les efforts d’excavation et de restauration tout au long de l’année. » La septième phase de fouilles est toujours en cours.

Mathilde Ragot Journaliste rédactrice web Histoire GEO.fr

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