L’économie turque a enregistré une croissance de 4,5 % en 2023. Mais avec une inflation annuelle de 67 %, les classes moyennes et populaires se paupérisent et les inégalités se creusent.
Les Echos, le 7 mars 2024 par Killian Cogan
C’est plus que ce que prévoyaient le Fonds monétaire international et le gouvernement turc lui-même : en 2023, l’économie turque a bénéficié d’une croissance de 4,5 %, portant le PIB à 1.120 milliards de dollars, soit 13.110 dollars par tête, un record. Jusqu’ici, le plus haut PIB par tête avait été atteint en 2013, avec près de 12.500 dollars.
Une croissance portée en grande partie par la consommation des ménages, qui compte pour près de 60 % du PIB. « Entre 2021 et les élections présidentielles de mai dernier, le gouvernement d’Erdogan a opéré un relâchement sauvage de la politique monétaire dans l’optique de distribuer des crédits peu coûteux, explique Deniz Unal, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii). Il a aussi procédé à des augmentations successives du salaire minimum [aujourd’hui fixé à 17.002 lires turques, soit près de 500 euros], ce qui a stimulé la consommation intérieure. »
Le secteur financier et des assurances (+9 %), ainsi que la construction (7,8 %) – bénéficiant de la reconstruction dans les zones frappées par le séisme du 6 février 2023 -, ont aussi enregistré une expansion. Mais dans le même temps, le niveau des prix n’a cessé de grimper.
L’hyperinflation toujours spectaculaire
Malgré un retour à une politique monétaire orthodoxe engagé par le ministre turc des Finances, Mehmet Simsek, depuis sa nomination en juin dernier, le taux d’inflation en février s’établissait à 67,07 % en rythme annuel, selon l’institut officiel turc des statistiques. Un chiffre que conteste le centre de recherche indépendant Enag, qui pointe, pour sa part, un taux d’inflation de 121,98 % sur la même période.
Afin d’endiguer cette hausse, depuis juin dernier, la banque centrale turque a procédé à huit augmentations d’affilée de son taux directeur pour, finalement, le maintenir à 45 % depuis janvier. Cette halte coïncide avec les élections locales prévues le 31 mars prochain, à l’issue desquelles le Parti justice et développement (AKP) d’Erdogan espère récupérer les grandes villes du pays, notamment Istanbul, tombées aux mains de l’opposition lors du dernier scrutin municipal en 2019. Parmi les observateurs, beaucoup escomptent une nouvelle hausse du taux directeur une fois ces élections passées. Les pouvoirs publics relèvent aussi régulièrement le salaire minimum.
Toujours plus d’inégalités
« La croissance turque est appauvrissante, prévient Deniz Unal. Elle profite aux grandes entreprises du pays ainsi qu’à l’entourage du pouvoir, mais comme les salaires des travailleurs n’augmentent pas en conséquence face à la hausse des prix, on assiste à une paupérisation des classes moyennes et populaires. »
Autrement dit, les écarts de richesse se creusent. Aujourd’hui, les revenus du travail ne comptent plus que pour 30 % du PIB du pays, contre environ 60 % en moyenne dans les pays de l’Union européenne. « Mais quand on regarde la Turquie dans le contexte mondial, force est de constater qu’elle s’en sort mieux que d’autres pays émergents, soutient encore Deniz Unal. Même si la plupart de ses habitants ont un niveau de vie qui n’est pas satisfaisant, à l’échelle mondiale, c’est une économie qui tire son épingle du jeu. »