La Cour constitutionnelle et la Cour de cassation s’affrontent autour du cas d’un député. Une bataille politique tout autant que juridique.
Le 19 novembre 2023, France Info, pour écouter cliquer ici.
Depuis plusieurs jours, une querelle au sommet dans le système judiciaire turc fait les gros titres. Elle oppose les deux plus hautes cours du pays, la Cour constitutionnelle, censée être l’organe suprême, et la Cour de cassation. Une bataille autour du cas d’un député du parti des travailleurs, l’avocat Can Atalay, condamné à 18 ans de prison pour tentative de renversement du gouvernement, lors du soulèvement du parc Gezi. Il était jugé aux côtés du mécène Osman Kavala. Tous deux dénoncent un procès politique et des preuves fabriquées.
Saisie de son cas, la Cour constitutionnelle a estimé que ses droits avaient été bafoués et qu’il devait être remis en liberté. Mais le 8 novembre, la Cour de cassation, pourtant tenue d’appliquer cette décision, a refusé et est allée plus loin : elle ouvert un front en déposant plainte au pénal contre les juges constitutionnels qui avaient appuyé la demande de remise en liberté.
L’opposition et les avocats dénoncent un coup d’État judiciaire. Une veillée est en cours au Parlement. Mais le président Erdogan n’a pu résister à entrer dans l’arène. Il dénonce la Cour constitutionnelle, qui a dit-il commis une erreur après l’autre. Ses alliés, d’extrême droite notamment, appellent eux carrément à changer la Constitution.
Arrière-pensées politiques
Comme c’est souvent le cas en Turquie, cette confrontation sur le terrain juridique en occulte une autre plus politique. Le président Erdogan ne fait pas mystère de son souhait de changer la Constitution, héritée du coup d’Etat militaire de 1982 et qu’il a déjà amendée pour créer le poste de président de la République et asseoir son autorité. Il entend cette fois y ajouter des articles dits de « protection de la famille », pour préciser que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme et réduire encore, redoutent ses détracteurs, les droits des femmes.
Mais, même s’il domine le Parlement, le président turc ne dispose pas du soutien nécessaire pour le faire, que ce soit par référendum ou par amendement. Certains pensent que cette crise est tout sauf anodine. Puisqu’il ne peut modifier légalement la Constitution, le président tenterait de mettre la Cour à sa main en désavouant les juges constitutionnels pour les pousser à la démission.
Le journal très proche du gouvernement Yeni Safak a d’ailleurs publié les photos et les noms des juges constitutionnels qui ont voté en faveur de la libération du député. Une initiative perçue comme une menace pour leur montrer la sortie