En l’espace de quelques semaines, une série de faits divers sordides, dont le meurtre de deux femmes par un jeune homme de 19 ans, a provoqué des manifestations fustigeant l’inaction du gouvernement et son retrait de la convention d’Istanbul contre les violences faites aux femmes.
COURRIER INTERNATIONAL, le 10 octobre 2024
Durant des semaines, en septembre, les Turcs ont suivi les recherches pour retrouver la petite Narin, 8 ans, disparue dans l’est du pays, puis, après la découverte de son corps, l’enquête, toujours en cours, qui a abouti à de nombreuses arrestations, dont celle de son oncle, résume le quotidien Hürriyet.
Puis, dans l’ouest du pays, un bébé de 2 ans, maltraité et abusé sexuellement était pris en charge à l’hôpital avant de décéder, le 7 octobre, rapporte Arti Gerçek, qui souligne que la mère, son compagnon, un voisin et les deux fils de la famille ont été arrêtés.
Enfin, le 4 octobre, en plein centre d’Istanbul, un jeune homme de 19 ans a tué puis décapité sa petite amie, avant de faire subir le même sort à une autre jeune fille du même âge qu’il harcelait depuis des années. Le tout sous les caméras des téléphones de nombreux badauds, dont les images ont été largement diffusées sur les réseaux.
De nombreux cas qui échappent à la justice
Le quotidien de gauche Birgün s’indigne et déplore une forme d’impunité juridique dont jouissent parfois les agresseurs, en énumérant de très nombreux cas récents d’abus sexuel ou de violences physiques contre des femmes qui se sont soldés par des non-lieux.
Le 24 septembre, une jeune fille était victime d’une agression sexuelle et d’une tentative de viol filmée par les caméras de la ville, mais ses agresseurs, déjà condamnés pour des faits similaires, ont été relâchés à l’issue de leur garde à vue. Avant d’être à nouveau arrêtés à la suite d’une tempête de réactions sur les réseaux, rappelle l’éditorialiste, qui souligne néanmoins que “le tribunal de Twitter n’est pas une solution à ces problèmes”.
En Turquie, les auteurs de “crimes d’honneur” [contre des femmes de leur famille accusées d’un comportement qui nuirait à l’honneur du groupe] ont longtemps pu compter sur une certaine clémence des tribunaux, mais depuis que la loi punit plus sévèrement ces crimes, l’on constate une hausse conséquente du nombre de “suicides” de femmes dans des conditions troubles, souligne le média en ligne Bianet.
Au cours du mois de septembre, 33 féminicides avérés ont été recensés, mais 22 “suicides suspects” se sont aussi produits.
L’“alcool” montré du doigt par le pouvoir
Les associations de défense des droits des femmes dénoncent notamment l’inaction du gouvernement, qui, en 2021, sous la pression de partis et d’organisations islamistes qui lui sont alliés, avait pris la décision de sortir de la convention d’Istanbul contre les violences faites aux femmes.
“La sortie de cette convention n’a rien changé à notre lutte contre ces violences”, a balayé le président islamo-nationaliste turc, Recep Tayyip Erdogan, lors d’un discours au Parlement le 9 octobre, accusant l’opposition de “promouvoir la consommation d’alcool”, qui, selon le leader turc, serait la principale cause de ces violences, rapporte le quotidien Evrensel.
Certains titres de la presse progouvernementale, eux, assurent que le double meurtre d’Istanbul est l’œuvre d’un “sataniste”.
Manifestations réprimées
La très célèbre chanteuse de pop turque Hadise, qui a déploré, à l’issue d’un concert, le fait que “les femmes ne se sentent pas en sécurité dans la rue”, a été prise à partie sur les réseaux par des soutiens du pouvoir qui ont qualifié ses tenues et chorégraphies d’“immorales” et de “pornographiques”.
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Dans les rues, et surtout sur les campus universitaires du pays, des milliers de personnes, dont une grande majorité de femmes, défilent depuis plusieurs jours, comme sur le campus de l’université Hacettepe, à Ankara.
Mais la plupart des rassemblements étant interdits et certains slogans antigouvernementaux prohibés, les manifestations sont réprimées. Le 9 octobre, quatre étudiantes qui protestaient contre le double meurtre d’Istanbul sur le campus de l’université de Marmara à Istanbul ont ainsi été placées en garde à vue, rapporte le média en ligne Kisa Dalga.
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