Le DEM, principal parti prokurde de Turquie et troisième force politique au Parlement, dénonce une décision « illégale » de la commission électorale.
L’invalidation de l’élection d’un maire du parti prokurde au profit du parti au pouvoir à Van, dans l’est de la Turquie, a suscité, mardi 2 avril, une vague de colère qui s’est exprimée jusqu’à Istanbul. Abdullah Zeydan a été élu dimanche avec 55,48 % des voix dans cette grande ville à majorité kurde, célèbre pour son lac et proche de la frontière iranienne. Son principal rival, du Parti de la justice et du développement (AKP) du président, Recep Tayyip Erdogan, par ailleurs balayé dans de très nombreuses grandes villes du pays, n’a obtenu que 27,15 % des suffrages.
Troisième force politique au Parlement, le DEM (ex-HDP), le principal parti prokurde de Turquie, dénonce une décision « illégale » de la commission électorale qui, selon lui, a contesté les droits politiques de M. Zeydan vendredi, à moins de quarante-huit heures du scrutin.
La formation prokurde affirme que son candidat avait pourtant « accompli toutes les procédures légales requises et obtenu la validation de sa candidature par le Haut Conseil électoral (YSK) ». « Le ministère de la justice tente de confisquer la volonté du peuple de Van. C’est un putsch politique », a réagi le coprésident du DEM Tuncer Bakirhan lors d’un rassemblement devant le Haut Conseil électoral à Ankara.
« Nous rejetons la décision de la commission électorale provinciale de Van de remettre le mandat de maire de la métropole au candidat de l’AKP », s’est encore insurgé le parti dans un communiqué.
Des barricades érigées à Van
Des centaines de partisans se sont rassemblés devant le siège du parti à Van pour exprimer leur solidarité avec l’élu, lançant des fumigènes et dressant des barricades, selon des images de l’agence de presse turque DHA.
Les forces de l’ordre ont riposté et dispersé le rassemblement en faisant usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau. Une centaine de personnes se sont également rassemblées dans une atmosphère tendue à Kadikoy, sur la rive asiatique d’Istanbul, un quartier traditionnellement frondeur et hostile au gouvernement. « Non aux administrateurs nommés par le gouvernement, ne touche pas à la volonté du peuple kurde », ont chanté les manifestants.
« Ne pas remettre son mandat au candidat du parti DEM élu maire de Van, c’est nier la volonté du peuple de Van. C’est inacceptable », a réagi sur X Ekrem Imamoglu, le maire d’Istanbul (CHP, opposition sociale-démocrate) réélu dimanche.
« C’est une question de droit, à la discrétion de la commission électorale provinciale, a répliqué le porte-parole de l’AKP, Omer Celik lors d’une conférence de presse. Ce n’est pas un domaine où le gouvernement peut intervenir. » « Réagir dans le cadre démocratique est le droit de chacun. Mais transformer ceci en violences n’a rien à voir avec la démocratie », a-t-il ajouté.
Erdogan interpellé par l’opposition
L’ancien coprésident du HDP Selahattin Demirtas, emprisonné depuis 2016 pour « terrorisme », a interpellé le chef de l’Etat Recep Tayyip Erdogan : « Le soir des élections, vous avez déclaré que vous respecteriez la volonté du peuple. Malheureusement, ce qui s’est passé à Van n’est pas compatible avec vos déclarations. »
Dans un message transmis par ses avocats, il appelle « tout [le] peuple, en particulier la population de Van, ainsi que toutes les forces et partis prodémocratie, à s’opposer à cette décision illégale ».
Elu député HDP en 2015, Abdullah Zeydan avait été arrêté l’année suivante en même temps qu’une dizaine d’autres membres de son parti. Les autorités l’accusaient d’avoir assisté aux funérailles de membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), groupe armé considéré comme terroriste par Ankara et ses alliés occidentaux, que le pouvoir accuse de liens avec le principal parti prokurde de Turquie. Emprisonné, M. Zeydan avait été libéré au début de 2022.
Une cinquantaine de maires élus en 2019 sous l’étiquette du HDP dans le sud-est de la Turquie avaient été remplacés par des administrateurs nommés par l’Etat. Ces vagues d’arrestations et de révocations avaient suscité des tensions dans la région et des réactions indignées en Occident.