Peu après l’attaque revendiquée par le Parti des travailleurs du Kurdistan, qui a fait deux blessés légers, le président turc s’en est pris à l’UE duquel le pays « n’attend plus rien ».
Le 2 Octobre 2023, Nicolas Bourcier, LE MONDE.
A Ankara, la journée devait être consacrée à l’ouverture solennelle de la nouvelle session parlementaire. Elle a commencé dans le fracas d’un attentat-suicide au cœur de la capitale turque avant de s’achever par un discours en forme de mise en garde, rempli de colère froide, prononcé par le président Recep Tayyip Erdogan, suivi, à peine deux heures plus tard, par un communiqué du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) revendiquant l’attaque de la matinée.
Il est 9 heures lorsqu’une banale camionnette grise s’avance lentement devant l’entrée de l’enceinte du ministère de l’intérieur, avant de s’immobiliser. La scène est enregistrée par une caméra de surveillance. On y voit le passager sortir, s’avancer arme à la main, tirer à plusieurs reprises et se faire exploser devant la guérite des policiers. Sorti du véhicule, le conducteur s’élance à son tour, mais disparaît de l’image avant d’être abattu par la police. « Une balle dans la tête », précisera un peu plus tard le ministre de l’intérieur, Ali Yerlikaya.
Le bâtiment du ministère se trouve à quelque 200 mètres du Parlement. L’explosion de forte puissance est entendue à plusieurs kilomètres à la ronde. Deux policiers sont légèrement blessés. Le quartier est bouclé. Très vite, le bureau du procureur général annonce l’ouverture d’une enquête et qualifie l’attaque de « terroriste ». Le parquet impose également un black-out sur l’information, exigeant des médias turcs qu’ils cessent de diffuser des images de l’attentat.
Des négociations au point mort depuis 2018
C’est dans ce contexte tendu que le chef de l’Etat s’est rendu, à pied, en début d’après-midi, à la Grande Assemblée nationale de Turquie pour la séance inaugurale du Parlement. Debout, devant l’ensemble des députés, Recep Tayyip Erdogan a d’abord évoqué les besoins, selon lui, d’une nouvelle Constitution, avant de condamner les « terroristes » et « scélérats qui menacent la paix et la sécurité », mais qui n’ont « pas atteint leurs objectifs et ne les atteindront jamais ».
Et puis, sans transition, le chef de l’Etat s’en est pris une nouvelle fois à l’Union européenne (UE). « La Turquie n’attend plus rien de l’UE, qui nous fait patienter à sa porte depuis soixante ans », a fustigé le président. « Nous avons tenu toutes les promesses que nous avons faites à l’UE, mais eux ils n’ont tenu presque aucune des leurs », a-t-il dénoncé, ajoutant qu’il ne « tolérera pas de nouvelles exigences ou conditions au processus d’adhésion » de son pays. « Même si les dirigeants ont changé, l’attitude biaisée de l’UE à notre égard est restée la même, ce qui est injuste et incompatible avec le principe du respect du pacte européen, a-t-il insisté. S’ils ont l’intention de mettre fin au processus d’adhésion qui n’existe que sur le papier, c’est leur décision. »
Il y a quinze jours, avant de monter dans l’avion pour l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, le président turc avait déjà affirmé que l’UE cherchait à « s’éloigner » de la Turquie. Une parole alors interprétée comme un appel du pied pour obtenir de Bruxelles un signe d’ouverture sur les négociations d’adhésion, au point mort depuis 2018, en particulier sur la question des visas.
« La goutte d’eau… »
L’appel n’a pas vraiment été entendu. Pire, un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a épinglé, cette semaine, la Turquie pour avoir condamné un enseignant turc d’une cinquantaine d’années pour terrorisme, sur la seule base de son utilisation de l’application de messagerie cryptée ByLock. Ankara considère la plate-forme comme l’outil de communication privilégié des membres du FETO, le mouvement du prédicateur Fethullah Gülen, que le pouvoir turc désigne comme les responsables présumés du putsch manqué de 2016, qui a fait 250 morts et a été suivi d’arrestations massives, ainsi que de purges d’une ampleur sans précédent.
Le jugement de la CEDH avait suscité l’ire du président. Il l’a clairement signifié dimanche devant les élus, en conclusion de son allocution : « Cette décision est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Elle ne profitera pas aux personnes viles de FETO. »
A peine la session parlementaire était-elle ouverte que le PKK a revendiqué l’attentat-suicide commis dans la matinée par un communiqué transmis à l’agence de presse ANF, proche du mouvement kurde. Le 13 novembre 2022, une attaque à la bombe perpétrée dans la plus grande artère piétonne du centre d’Istanbul avait fait six morts et 81 blessés. L’explosion n’avait pas été revendiquée, mais avait été attribuée au PKK par les autorités.
En représailles, dimanche soir, Ankara a mené des frappes aériennes sur une vingtaine de « cibles » au Kurdistan autonome, dans le nord de l’Irak. Dans un communiqué, le ministère de la défense turc a reconnu une « opération aérienne » dans ce secteur pour « neutraliser le PKK ».