La Banque centrale turque a relevé ce jeudi son taux directeur pour le sixième mois consécutif. Il atteint désormais 40%, soit son plus haut niveau depuis l’arrivée au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan. Persuadé que les taux d’intérêt élevés étaient à l’origine de l’inflation, ce dernier a longtemps défendu l’idée de ne pas relever le taux directeur de l’institution monétaire. Une vision sur laquelle il est désormais revenu, mais qui a plongé le pays dans la crise, et dont il reste difficile de se dépêtrer.
Le 23 novembre 2023, La Tribune.
La Banque centrale de Turquie n’en finit pas de relever son taux directeur.
Ce jeudi, elle vient de renouveler la manœuvre, en le passant à 40% soit cinq points de plus par rapport au mois dernier. Il s’agit du plus haut niveau depuis l’arrivée au pouvoir du président turc en 2003. A titre de comparaison, ils sont compris entre 4 et 4,75% dans la zone euro et entre 5 et 5,25% aux Etats-Unis.
La banque centrale a toutefois prévenu que le resserrement monétaire « sera maintenu aussi longtemps que nécessaire pour garantir une stabilité durable des prix », rejoignant ainsi la ligne adoptée par de très nombreuses autorités monétaires, comme la Fed et la BCE.
Le contexte en Turquie demeure toutefois bien spécifique. Depuis les élections de mai et la reconduction au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan, la nouvelle équipe à la tête de la Banque centrale et du ministère de l’Économie a fait remonter le taux directeur de 8,5 à 35%, afin de tenter de contrôler la flambée des prix. Les effets tardent pourtant à se concrétiser. « Il faut du temps pour voir les effets des mesures prises se répercuter sur la vie quotidienne des gens », avait-il déclaré début novembre.
Prise dans une spirale dévaluation-inflation, la Turquie connaît une inflation à deux chiffres sans discontinuer depuis fin 2019. Elle s’est affichée à 61% sur un an en octobre, selon les données officielles publiées début novembre – chiffres contestés par certains économistes. Le chef de la Banque centrale turque, Hafize Gaye Erkan, a estimé qu’elle pourrait atteindre 65% fin 2023 et baisser à 36% fin 2024. Quoique élevés, les chiffres officiels sont sujet à controverse, notamment auprès des économistes indépendants du Groupe de recherche sur l’inflation (Enag). Ils calculent la hausse des prix à la consommation à 126,18% en glissement annuel en octobre.
Des taux qui devraient rester élevés
Les économistes s’attendent désormais à ce que le taux d’intérêt reste élevé, au moins jusqu’à la fin du premier semestre l’année prochaine. Selon eux, la nécessité de les relever aussi haut témoigne de la profondeur de la crise dans laquelle le pays est plongé, générée par politiques menées par le chef de l’État.
Recep Tayyip Erdogan a longtemps défendu, à contre-courant des théories orthodoxes, que les taux d’intérêt élevés étaient à l’origine de l’inflation. Il y a deux ans, il a ordonné à la Banque centrale, théoriquement indépendante, de réduire son taux directeur. Résultat, une flambée des prix, déjà sous tension. La livre turque s’est ensuite rapidement effondrée lorsque les Turcs, pour tenter de sauver leurs économies, ont commencé à acheter des dollars et de l’or, afin de se prémunir contre de nouveaux chocs économiques. La Banque centrale aurait, selon les estimations, dépensé plus de 200 milliards de dollars pour tenter de soutenir la livre turque au cours des deux dernières années.
Changement de cap
Recep Tayyip Erdogan a gardé cette position jusqu’à récemment encore. Et pour cause, il avait fait de cet axe un engagement de campagne. Devant les faits, il a été contraint de changer de cap depuis, en nommant une nouvelle équipe d’économistes respectés, formés à Wall Street et dans le privé, chargés de sortir la Turquie de la crise. Les nouveaux responsables de l’économie, le ministre des Finances, Mehmet Simsek, et le gouverneur de la Banque centrale, Hafize Gaye Erkan, ont tenté de rééquilibrer l’économie avec des solutions conventionnelles visant à atténuer la crise du coût de la vie et à mobiliser le soutien des investisseurs étrangers.
Le chef de l’État a déclaré cette semaine que l’économie turque pourrait bientôt « entrer dans un cercle vertueux » de désinflation, permettant à la livre turque de gagner de la valeur.
« Il y a une forte probabilité que la livre turque prenne de la valeur en termes réels. Nous gagnerons la confiance des investisseurs grâce à nos politiques judicieuses et à nos réformes structurelles », a-t-il affirmé.